K. PAPAIOANNOU attributs les plus importants, amorçant même le processus de dépérissement de l'État qu'achèvera le communisme. ... et dépérissement de l'État VoICI comment Marx a caractérisé la situation politique de l'Angleterre : Les tories, les whigs, les partisans de Peel appartiennent plus ou moins au passé. Le parti qui représente officiellement la société anglaise moderne, ce sont les libre-échangistes (les manchestériens, les réformateurs du Parlement et des :finances). Ceux-ci représentent le parti de la bourgeoisie consciente, le capital industriel qui veut utiliser sa force sociale comme force politique et extirper les derniers vestiges orgueilleux de la société féodale... Ils entendent par libre-échange l'absolue liberté de mouvement du capital débarrassé de toutes les entraves politiques, nationales et religieuses... La royauté, avec sa « splendeur barbare», sa cour, sa liste ·civile et sa meute de laquais, rentre dans les faux frais de la production. La nation peut ·aussi bien produire et commercer sans la royauté, donc : à bas le trône ! La grande armée : faux frais ! Les colonies: faux frais ! L'église officielle: faux frais ! Les guerres nationales : faux frais !.. . Leur dernier mot, c'est nécessairement la république bourgeoise, où la libre concurrence s'exercera dans tous les domaines, et où il ne restera que le minimum d'autorité gouvernementale indispensable à l'administration extérieure et intérieure des intérêts généraux et des affaires de la bourgeoisie 10 • Cela fut écrit en 1852. Quelques années plus tard toute l'Angleterre fredonnait le chant des Jingos : We don't want to fight, but, by Jingo, if we do, We have the ships and the men, And have the money, too. Entre-temps Cobden avait perdu son mandat pour s'être opposé à la guerre de Crimée. Pendant que l'Angleterre de Palmerston, de Disraëli et de Cecil Rhodes s'exaltait dans l'expansion impérialiste, Marx maintenait désespérément la fiction de l'État-« superstructure» que lui avait léguée le radicalisme anglo-saxon. Ses vaticinations sur les « faux frais de la production », dont la naïveté est déjà touchante dans son irréalisme, montrent suffisamment jusqu'à quel point la sociologiede Marx est restée prisonnière de l'idéologie bourgeoise. Le postulat, le rêve, la chimère d'un certain libéralisme européen, à savoir la résorption du politique dans l'économique, devient chez Marx une réalité immédiate ou imminente et constitue .le centre de perspective de sa théorie générale de l'État. On conçoit dès lors l'amère déception que lui causèrent les événements de · 1851 en France. L'État «semble être devenu complètement indépendant sous le second Bonaparte », constate10. Gesammelte Schriften von Karl Marx und Friedrich Engels bis 1862, éd. Dietz, 1917, I, pp. 6 sqq. Biblioteca Gino Bianco 219 t-il au lendemain du coup d'État 11 - mais il n'y voit que la cause du << morne désespoir, de l'effroyable sentiment de découragement et d'humiliation qui oppresse la poitrine de la France et entrave sa respiration ». A l'optimisme débordant de ses écrits antérieurs se substitue une vision proprement tragique de la croissance incessante de l'État qui sort renforcé des guerres aussi bien que des révolutions, de la lutte des classes comme de l'équilibre entre les classes ; qui cc se nourrit sur la société et en paralyse le mouvement» 12 • L'aliénation étatique APRÈS AVOIR violemment écarté de son horizon intellectuel l'idée que l'État puisse avoir une histoire et un développement propres, Marx découvre maintenant qu'au lieu de s'effacer devant la montée de la bourgeoisie, l'État bureaucratique n'a pas cessé de progresser et d'étendre ses attributs, depuis la monarchie absolue et à travers toutes les révolutions bourgeoises. L'« immense organisation bureaucratique et militaire » de l'État moderne ... ...se constitua à l'époque de la monarchie absolue, au déclin de la féodalité, qu'il aida à renverser. Les privilèges seigneuriaux des grands propriétaires fonciers et des villes se transformèrent en autant d'attributs du pouvoir d'État, les dignitaires féodaux en fonctionnaires appointés, et la carte bigarrée des droits souverains médiévaux contradictoires devint le plan bien réglé d'un pouvoir d'État, dont le travail est divisé et centralisé comme dans une usine 13 • Issu de la société, créé primitivement pour assurer l'ordre et la sécurité des bourgeois aux prises avec la brutalité féodale, puis pour élargir à l'échelle nationale le champ d'activité de la bourgeoisie, l'État a développé son propre dynamisme d'expansion. Poussé par un insatiable besoin de «sujets », il a anéanti les autonomies féodales, ecclésiastiques et urbaines de la même manière que le capitalisme a exproprié les producteurs indépendants, artisans et paysans. En brisant tous les pouvoirs indépendants locaux, territoriaux, municipaux et provinciaux, la Révolution française n'a fait que continuer l'œuvre de centralisation et de nivellement commencée par la monarchie.. « Napoléon acheva de perfectionner ce mécanisme d'État » et_c'est ainsi qu'on a abouti à la domination complète de la bureaucratie, ...ce pouvoir exécutif, avec son mécanisme étatique complexe et artificiel, son armée de fonctionnaires d'un demi-million d'hommes et son autre armée de cinq cent mille soldats, effroyable corps parasite, qui recouvre comme d'une membrane le corps de la société française et en bouche tous les pores. II. Marx : Le 18 Brumaire, etc., Paris 1945, p. 90. 12. Marx : La Guerre civile en France, Paris 1936, p. 60. 13. Le 18 Brumaire, pp. 89-90.
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