K. PAPAIOANNOU « pays de l'avenir »4 , le pays « où dans les temps futurs se manifestera la gravité de l'histoire universelle». Hegel était, lui aussi, frappé par la structure purement économique de la vie américaine : La protection générale de la propriété et une absence d'impôts presque totale sont des choses constamment vantées. Par là est indiqué aussi le caractère fondamental de cette société centrée sur l'homme privé et sa propension à acquérir et à gagner, et dominée par l'intérêt particulier qui ne s'occupe du 1énéral qu'en vue de sa propre jouissance. Hegel note cette primauté de l'économique - mais pour en tirer des conclusions diamétralement opposées à celles de Marx. L'État en Amérique . L'AMÉRIQUEt,elle qu'elle avait été façonnée par les cinquante premières années de son existence en tant que nation indépendante, offrait à Hegel « l'exemple durable d'une constitution républicaine », mais il était loin de la considérer comme l'exemple « le plus achevé» de l'État moderne. Cette vie qui n'avait pas d'autre horizon que celµi de_l'activité !aborieuse n:étai~ pas pour lui une vie authentiquement histonque. Cette communauté de citoyens libres et égaux qui se soumettaient au gouvernement de la majorité quand le gouvernement était nécessaire, mais qui évitaient autant que possible l'intervention gouvernementale, était _peut-êt~e en train de créer le « pays de l'avemr », mais elle se situait encore au seuil de la véritable vie politique : En ce qui concerne le facteur politique, la fin générale n'est pas encore assise solidement et le besoin d'une ferme concentration ne se fait pas encore sentir. Car un véritable État ne se produit que quand il y a une différence de classes, quand la richesse et la pauvreté deviennent très grandes et qu'il apparaît une condition telle qu'un grand nombre de personnes ne peut plus satisfaire ses besoins comme il en avait coutume. Ici Hegel est beaucoup _plus réaliste que Mad. Celui-ci attribuait l'« mdépendance » de l'État à l'absence de fortes différenciations de classes et à l'immaturité des antagonismes s~ciaux: D'après Hegel, c'est exactement le contraire qw se passe : le renforcement de l'autorité de l'État lui apparaît de prime abord comme le r~ultat de l'aggravation des conflits de classes. Il aJoute : . . Cette tension ne menace pas encore l'Amérique, car l'issue de la colonisation lui demeure largement ouverte et une foule de gens s'écoule constammen! dans les plaines du Mississipi. Grâce à ce moyen a ~paru la source principale du mécontentement et la continua4- D est regrettable que M. Bric Weil n'ait pas mentionné ce tezte lorsqu'il a présenté Hegel comme le prophète de l'hqémonie future de la Russie et du c monde slave • (H,g,l ,, r"i1tat, 1950, pp. ror-2). Biblioteca Gino Bianco 217 tion de l'état politique actuel est iarantie. Une comparaison des États libres d'Amérique avec les pays européens est de ce fait impossible, car en Europe un pareil écoulem~nt naturel de la population n'existe pas malgré toutes les émigrations : assurément, si les forêts de la Germanie étaient encore existantes, la Révolution françaiee ne se s•rait pas produite. Si la prairie américaine n'existait pas, il est probable que la révolution prolétarienne annoncée par le Manifeste communiste aurait éclaté : les treize mUHons de personnes qui émigrèrent aux États-Unis entre 1850 et 1900 ont, sans doute, été pour beaucoup dans l'échec de la prophétie marxiste. Quoi qu'il en soit, l'Amérique, cc encore au stade du défrichement », ne pouvait en aucun sens être considérée comme un « exemple achevé » d'État moderne : C'est seulement quand, comme en Europe, le simple accroissement des agriculteurs aura été arrêté, que les habitants, au lieu de se presser en dehors vers les champs, se replieront en masse sur eux-mêmes vers les industries et le commerce urbains, constitueront un système compact de société politique et ressentiront le besoin d'un État organique. L'Amérique ne saurait donc être comparée à l'Europe que si « l'espace immense que présente cet État était rempli et la société civile refoulée sur elle-même». L'évolution postérieure de la société américaine a largement confirmé le diagnostic hégélien. Aussi longtemps que les terres à coloniser offraient des occasions d'entreprises nouvelles, la vie politique de la communauté put se borner à une espèce de démocratie locale sans chercher à se donner une armature étatique centralisée. L'accroissement continu des exploitations agricoles, dont le nombre passe de 1,5 million en 1850 à presque 6,5 mUHonsen 1910, explique à lui seul pourquoi le cc besoin d'un État organique » se fit sentir si tard en Amérique. La société civile ne fut « refoulée sur elle-même » qu'à partir de 1920 où, pour la première fois, la population urbaine a dépassé la population rurale. Et ce n'est que la grande crise qui a fait apparaître dans l'histoire américaine une situation telle qu' « un grand nombre de personnes» n'était plus en mesure de satisfaire ses besoins « comme il en avait coutume». Or, après que ces facteurs « de classe » curent. agi sur la société américaine, ils ne tardèrent pas à la transformer en un cc système compact de société politique » : l'Etat au sens moderne du terme n'apparut en Amérique qu'avec l'administration Roosevelt. Il s'y ajoute que si l'Amérique a pu donner pendant si longtemps l'image d'une société civile à l'état pur, c'est aussi à cause de son double isolement politique et économique. Hegel observe à ce propos que... .. .les États libres de l'Amérique du Nord n'ont pas d'État voisin avec lequel ils seraient en rapport d'hostilité, comme les États européens entre eux, et contre lequel ils auraient à entretenir une armée permanente.
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