Le Contrat Social - anno IV - n. 4 - luglio 1960

MARX ET L'ÉTAT MODERNE par Kostas Papaioannou LORSQUE Thomas Jefferson déclara que le meilleur gouvernementl est celui qui gouverne le moins, il énonçait le principe commun du libéralisme et du marxisme. Plus précisément, le marxisme hérita du libéralisme sa conviction que l'État devait être réduit au strict minimum et qu'une forme de coopération spontanée allait naître, qui assurerait la cohésion profonde et le développement harmonieux de la société sans qu'il soit besoin de contrainte d'aucune sorte. On en vint ainsi à proclamer la complète autonomie de l'ordre économique et la primauté des impératifs, des valeurs et des représentations qui régissent la sphère des intérêts privés ou « de classe » sur toutes les autres nécessités sociales, notamment sur les besoins de l'État en tant que tel. L'État comme anachronisme PoUR LES LIBÉRAUX, l'État du despotisme et des réglementations bureaucratiques devait être écarté comme une survivance barbare de l'époque mercantiliste, quand l'économie était asservie aux classes improductives et à la fiscalité de l'État. Pour Marx aussi l'indépendance de l'État est! un signe de l'immaturité économique de la société. L'État, dit-il, n'est plus indépendant que dans les pays sous-évolués... ... où les états ( Sti:inde) ne se sont pas encore complètement transformés en classes, où les états, éliminés dans les pays plus avancés, continuent à jouer un rôle, où il y a donc mélange, aucune partie de la population ne pouvant arriver à dominer les autres 1 • Il ressort clairement de ce text~ remarquable que les sociétés précapitalistes n'obéissent pas 1. Marx-Engels : Die Deuucho ldeologie, éd. Dietz, 1953, p. 62. aux forces historiques que le marxisme reconnaît comme seulesidéterminantes. Tout d'abord elles ne sont pas économiquement fondées : aux faibles articulations économiques que suscite une activité industrielle et commerçante chétive, se superposent ici -des distinctions politiques et juridiques imposées souverainement par un État «indépendant», c'est-à-dire incontrôlable. Ensuite, leur devenir paraît bloqué par l'absence d'une lutte de classes active. Si l'État est « indépendant», c'est que l'économie est trop faible pour déterminer la structure des classes et qu'aucune classe n'est assez forte pour dominer les autres : les deux « forces motrices » de l'histoire, les forces productives et les luttes de classes, sont ici inopérantes ; les Eropositions fondamentales du « matérialisme~storique » ne sont valables que pour les pays « plus évolués». En 1776, Adam Smith annonçait l'élimination imminente des classes extra-économiques de l'ancien régime : c'est la Hollande, pays où « tout homme à peu près est dans les affaires ou intéressé dans quelque genre d'industrie »2 , qui constituait à ses yeux la société-type de l'avenir. Soixante-dix ans plus tard, Marx 'croit pouvoir proclamer le triomphe définitif de la revendication bourgeoise. A l'en croire, le processus de sécularisation des valeurs et de résorption du politique dans l'économique qu'a déclenché la révolution industrielle est déjà près d'atteindre son terme. Pour lui « l'exemple le plus achevé de l'État moderne est l'Amérique. Les plus récents écrivains français, .anglais et américains sont unanimes à déclarer que l'État n'existe ici que pour la propriité privée. » Parmi ces écrivains il faut ranger aussi Hegel 3 • ~our lui aussi le « pays de la liberté » était le 2. Richesse des nations, liv. I, chap. IX. 3. Cf. Philosophie d, l'Histoire (trad. J. Gibelin, 1946), pp. a2 sqq.

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