Le Contrat Social - anno IV - n. 4 - luglio 1960

YVES LÉVY gleterre (p. 344) - le système des deux partis, et la façon dont il fonctionne : Une chose est sur-tout nécessaire pour qu'un gouvernement parlementaire exerce une action ferme et régulière : c'est la division de l'opinion publique en deux partis : le parti ministériel et le parti de l'opposition (p. 235). Saint-Simon expose ensuite que les deux partis doivent être respectueux de la Constitution, et qu'alors leur lutte est à tous égards bénéfique. Encore faut-il que ces partis soient organisés. Or... ...un parti est organisé lorsque tous ceux qui le composent, unis par des principes communs, reconnaissent un chef qui concerte tous les mouvements et · dirige toutes les opérations, de sorte qu'il y ait à la fois unité dans l'action et dans les vues, et que par conséquent la force du parti soit la plus grande possible (p. 342). Sur quoi Saint-Simon - et il semble bien être le seul à le faire - se pose la question capitale : comment créer ces partis organisés nécessaires au fonctionnement du système ? A son avis, « le parti ministériel ne peut s'organiser ainsi de luimême ». La raison en est qu'il n'y avait, en ce temps, pas de ministère, mais seulement des ministres, et ... ...ce serait un hasard bien étrange que des ministres choisis par le Roi parmi les classes d'hommes qui n'ont aucune relation entre elles, eussent précisément la même façon de penser, les mêmes principes politiques, et reconnussent d'un commun accord la supériorité de l'un d'eux à qui ils donneraient la direction du parti (p. 343). D'où la conclusion que ... ...c'est par l'opposition seule que le ministère doit s'organiser ; c'est dans l'opposition que doit être pris le ministère, c'est donc l'opposition qui doit s'organiser d'abord (pp. 343-344). En fait, c'est là que voulait arriver Saint-Simon, ou plutôt, c'est de là qu'il est parti. Homme à idées s'il en fut, il a sans cesse cherché un biais pour imposer ses vues. Il a tenté de convaincre le premier consul, l'empereur, le roi. Son obstination n'a pas été récompensée. Le voici avec une idée nouvelle : utiliser les propriétaires de biens nationaux. Le sort de ces biens, en effet, est encore incertain, de sorte que « les domaines nationaux sont tombés au plus vil prix» (p. 348). La seule façon de les revaloriser est de rassembler tous ceux qui en sont les propriétaires, directement intéressés au maintien de la Charte, puisqu'elle garantit leurs propriétés : Cette association devra avoir pour objet d'organiser le plus promptement et le plus complètement possible le parti de l'opposition, d'encourager et de répandre les écrits tendans à confirmer dans l'opinion l'inviolabilité de la Charte (pp. 348-349). Inutile de dire que Saint-Simon serait le porteplume de l'association. Biblioteca Gino Bianco 211 VOILA DONC trois publicistes qui exposent avec une parfaite clarté un système - inspiré des institutions anglaises - où la lutte de deux partis, ressort fondamental de la vie politique, est à la fois la garantie de l'ordre et du progrès, car d'une part l'opposition veille à ce que le parti au pouvoir n'outrepasse pas les bornes que lui prescrit la Constitution, et d'autre part chaque parti s'efforce d'incliner en sa faveur la majorité des électeurs en s'efforçant de formuler, au pouvoir ou dans l'opposition, la politique la plus favorable à l'intérêt général. Ces publicistes expriment-ils la pensée générale de leur temps? On en peut douter. Beaucoup plus que de mécinisme constitutionnel, les esprits sont soucieux du sort promi~ aux personnes et aux biens, soucieux par conséquent de savoir qui exercera le pouvoir. Ce sont là d'ailleurs des problèmes à qui nos théoriciens ne demeurent pas indifférents. Mais ils sont les seuls, semble-t-il, à les envisager dans le cadre d'un système ayant pour assise essentielle une assemblée représentative où lutteront deux partis. Il fallait à vrai dire une foi solide en la bonté des institutions anglaises pour espérer qu'elles pourraient s'instaurer en France. Les éléments existaient, qui auraient permis de mettre sur pied ce dualisme. Mais la tolérance réciproque était presque inexistante. Ce qui faisait la différence du « côté gauche » et du « côté droit », ce n'était pas un simple désaccord sur la façon de gouverner le pays, désaccord qui, si profond qu'il soit, peut se traduire par une opposition loyale. Chaque côté reprochait à l'autre ce qu'il était, de sorte qu'entre eux il y avait des relations d'agressivité et de peur. Bien des émigrés, voyant leur cause triompher, s'attendaient à un retour à l'Ancien Régime, espéraient retrouver les biens dont la Révolution les avait spoliés. Et les places lucratives devaient compenser leurs années de misère. Les biens des nouveaux riches étaient le fruit de l'usurpation, les titres de la nouvelle noblesse n'étaient qu'une quincaillerie indigne de figurer à côté de ceux à qui les siècles avaient donné une inimitable patine. En matière de titres, de rang social, de propriétés, la possession par transmission héréditaire leur paraissait seule pure, l'acquisition leur semblait immorale. En-revanche, les hommes nouveaux issus de la Révolution et de l'Empire plaçaient le talent et la compétence avant l'hérédité et ne trouvaient pas que ce fût un titre à occuper une place dans sa patrie que d'avoir porté les armes contre elle. Le seul point gênant, c'était le sort des propriétés. Devenus riches, ils étaient certains que la propriété a un caractère sacré. Mais alors comment justifier la possession de propriétés dont les anciens propriétaires n'avaient pas touché le prix? On invoquait la prescription, bien qu'il ne se fût guère écoulé plus de vingt ans. Cet argument n'apaisait pas l'amertume des dépossédés, il ne tranquillisait 1nême pas toujours la conscience des possédants. Bref, tout semblait concourir à séparer par une hostilité irrémédiable

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