Le Contrat Social - anno IV - n. 4 - luglio 1960

YVES LÉVY une faction. Ils rangent quelquefois la nation même dans cette catégorie, et pensent que l'habileté suprême est de se glisser entre ce qu'ils nomment les factions opposées sans s'appuyer d'aucune. Constant est donc parvenu, de façon tout à fait cohérente, à une position rigoureusement inverse de celle qu'il défendait en 1797. * ,,. ,,. CETTENOUVELLCEONCEPTIOpNolitique n'est pas le fait du seul Benjamin Constant. Nommons d'abord Mme de Staël qui, on s'en doute, ne pensait pas autrement que lui. Dans ses Considérations sur la Révolution française - œuvre posthume - elle affirme (tome III, pp. 226228) : La fidélité de parti est l'une des vertus fondées sur l'esprit public, dont il résulte le plus d'avantages pour la liberté angloise... L'existence d'un parti ministériel et d'un parti de l'opposition, quoiqu'elle ne puisse pas être prescrite par la loi, est un appui essentiel de la liberté, fondé sur la nature des choses. Pourtant Mme de Staël ajoute: Mais si les opinions sont décidées d'avance, comment la vérité et l'éloquence peuvent-elles agir sur l'assemblée? Comment la majorité peut-elle changer, quand les circonstances l'exigeroient, et à quoi sert-il de discuter, si personne ne peut voter d'après sa conviction? Mme de Staël bouscule alors son schéma rigoureux, tient compte des « neutres, qui sont en assez grand nombre ». En fait, elle n'a pas parfaitement saisi que la vérité est, en politique, une notion moins importante que celle de majorité, et que la dualité des partis, en conduisant au gouvernement de cabinet, réduit la portée de l'éloquence parlementaire. C<:q1;1'ellexpri~e i~i correspond à une vue ~xpnme~ par BenJ~in Constant dans ses Réflexions, puis dans ses Principes de politique, concrétisée dans l'article 26 de l'Acte additionnel, et développée plus tard dans le Cours de politique constitutionnelle. Constant s'oppose aux discours écrits et avance deux arguments : ils contribueraient à durcir les positions, à les rendre inconciliables, et d'autre part chacun, -clansle silence du cabinet, préparerait des effets excessifs qu'il serait bien incapable de trouver spontanément à la tribune. Ce second argument est, en quelque sorte, un procédé de déco~traction, une manière de médication psychologique destinée à assouplir les contacts humains. Il fait penser aux arguments utilisés vingt ans plus tôt par Constant dans sa premièr~ broch?re po~itique. Le premier est sans doute 1effet d une circonstance qui n'est pas sans i~po3;~ce : en France, le système des deux partis n existe pas encore. Il faut donc convaincre par la parole les éléments divers dont peut se former une majorité, et la chose sera d'autant plus aisée que les positions n'auront pas été mises en forme dans des textes écrits. Bibliotèca Gino Bianco 209 A ce propos on peut noter que, si Benjamin Constant n'a jamais rétracté l'estime qu'il avait manifestée pour ce système simple, et qui assurait à l'Angleterre - qui lui assure encore - une vie politique régulière et harmonieuse, si en 1829, dans un des essais des Mélanges de littérature et de politique, on lit un parallèle des « gouv~rnemens absolus » et des « gouvernemens populaires » où se trouve noté, parmi les avantages de ces derniers, le fait que « les assemblées (...) sont presque toujours divisées en deux partis » (p. 435), ce qui permet l'examen critique des actes du pouvoir, il ne semble cependant pas qu'il se soit jamais préoccupé de définir les conditions qui permettraient de réaliser un tel système en France, soit qu'il ait pensé qu'à la longue il se réaliserait de lui-même, soit que, les principes posés, il ait cessé de réfléchir à ce problème de structure pour se préoccuper seulement des questions politiques que chaque session parlementaire apportait avec elle. Peut-être aussi la polarisation générale des parlementaires en un côté droit et un côté gauche lui paraissait-elle suffisante. Il y a lieu en effet de penser qu'il n'a jamais entendu par « parti » autre chose qu'une certaine communauté d'opinion : rien ne permet de supposer qu'il ait aperçu l'importance du caractère organique des partis anglais, bien que ce caractère semble avoir été entrevu par Mme de Staël. * ,,. ,,. EN DEHORSDE BENJAMINCONSTANTp,eu de gens se sont fait une idée aussi nette du fonctionnement du régime parlementaire. Il convient cependant de faire une place à part à Alexandre de Laborde, qui résume les aspects essentiels du régime anglais avec une précision et une netteté admirables. C'est e~ 1814 qu'il fait imprimer son ouvrage sur les « aristocraties représentatives ))' publié l'année suivante sous un autre titre 11 • La formation du ministère, la responsabilité, la dissolution, les procédés de corruption qui étaient alors un des ressorts habituels du gouvernement, tout est décrit avec clarté et concision. Cet ouvrage contribua beaucoup à faire connaître le fonctionnement du gouvernement britannique. Que sa description soit rigoureusement exacte n'est p~s ici le point 12 : ce qui nous importe, ce sont les idées exprimées, et il · II. A. de Laborde : Des aristocraties représentatives, ou du retour à la propriété dans le gouvernement, Paris 1814, imprimerie de Le Normant. Tiré à quelques exemplaires, cet ouvrage ne fut pas mis en vente ..11 est antérieur au mois d'octobre puisqu'il est, à ce moment-là, cité par Saint-Simon. Remanié, il fait l'année suivante l'objet d'une nouvelle impression, et il est mis en vente chez le libraire Nicolle sous le titre plus explicite : De la représentation véritable de la communauté, ou du système de nomination aux deux chambres, basé sur la propriété. Nous citons ici d'après la première impression. Le texte de la seconde est en général identique (mais la pagination est différente), les modifications ne concernant rien d'essentiel. 12. Sur le fonctionnement du régime britannique à cette époque, cf. Élie Halévy : Histoire du peuple anglais au dixneuvième siècle, tome I.

RkJQdWJsaXNoZXIy MTExMDY2NQ==