208 des structures et celui des intérêts qui sont l'enjeu de la lutt~ politique. Ce n'est!d'ailleurs pas là un aspect specifique de la Restauration. A..toutes les ~poqu~ nous voyons les problèmes politiques mterferer en France avec les problèmes constitutionnels d'une façon beaucoup plus accusée que dans plusieurs autres pays, et notamment dans les pays anglo-saxons. Cela coµtribue à créer autour des institutions de violents courants passionnels qui sont la source d'une grande instabilité. Il est particulièrement intéressant que ce soit Benjamin Constant qui, le premier, fasse la théorie du nouveau système. Nous l'avons vu, sous le Directoire, imaginer un gouvernement qui serait comme un roc contre lequel se briseraient les e~orts des partis. Avant même que la Charte soit promulguée - le 24 mai 1814 - il publie ses Réflexions sur les Constitutions, la distribution des pouvoirs et les garanties dans une monarchie constitutionnelle où, s'inspirant des leçons de l'expérience et des nécessités du moment, il transfère au monarque la fonction conservatrice qu'il avait cru, sous le Directoire, pouvoir attribuer au gouvernement. Il lui semble maintenant que dans un gouvernement républicain, «la raison du peuple est la garantie de l'ordre ». Il faut ici supposer que la France, expérience faite, ne lui paraît pas mûre pour la République. D'où, tant que la raison, produit des lumières, n'aura pas conquis tous les esprits, la nécessité de s'adapter ~ un !égime moin~ parfait, où le monarque est mvestl du « pouvoir neutre » qui lui permet de contenir les excès des partis. Sous-le regard du monarq~e, le ~s!ère gouverµe tant qu'il a pour lw la maJonte de l'assemblée. Benjamin Constant !enonce explicit~ment. à . la séparation des pouvous : «On constttue, dit-il, un gouvernement en harmonie, au lieu de créer deux camps sous les armes 10 • » Il fait d'ailleurs état de la situation de Pitt, demeurant deux mois au pouvoir en 1784, contre la majorité. C'est que, dit-il' «la nation entière était pour son ministère contr~ la Chambre des communes ». Benjamin Constant ne dissimule pas, en effet, que le système qu'il . pr~pos~ est conforme au modèle anglais. « Je n'ai pomt che~ché l'originalité », écrit-il ( p. vu). « Je _neme suis, sur. be~ucoup de points, écarté en i:ien, de la Co?stltutl<?n~g~se; j'ai plutôt explique pourquoi ce qw existait en Angleterre était bon, que je n'ai proposé quelque chose de nouveau. » Il décrit notamment (p. 59) le jeu de la majorité et de l'opposition, en des termes où perce d'ailleurs un relent de la mauvaise réputa- . tion dont, jusqu'à présent, ont joui en France les partis, ici encore dénommés factions : Les. ennemis du ministère contemplent dans son pouvoll' leur force et leur autorité future; l'opposition 10. Par « gouvernement en harmonie », il faut entendre un gouvernement en harmonie avec la Chambre législative. Et les « deux camps sous les armes » sont une allusion à l'opposition, sous le Directoire, des pouvoirs exécutif et législatif. LE CONTRAT SOCIAL épargne les prérogatives du gouvernement comme son héritage, et respecte ses moyens à venir dans ses adversaires présens ... On ne peut se flatter d'exclure les factions d'une organisation politique où l'on veut conserver les avantages de la liberté. Il faut donc travailler à rendre ces factions le plus innocentes qu'il est possible, et comme elles doivent quelquefois être victorieuses, il faut d'avance prévenir ow adoucir les inconvéniens de leur victoire. Un an plus tard, il se sera mieux accoutumé à l'idée du système anglais, et pendant les CentJours, dans ses. Principes de politique applicables à tous les gouvernements représentatifs et particulièrement à la constitution actuelle de la France (Paris, Ey~ery, mai 1815), pp. 172-173, il écrit : Lorsque nous aurons ce que nous n'avons point encore, mais ce qui est d'une nécessité indispensable dans toute monarchie constitutionnelle, je veux dire' un ministère qui agisse de concert, une majorité stable' et une opposition bien séparée de cette majorité, nuÎ ministre ne pourra se maintenir, s'il n'a pour lui le plus grand nombre des voix, à moins d'en appeler au peuple par des élections nouvelles. Et alors, ces élections nouvelles seront la pierre de touche de la confiance accordée à ce ministre. Ce passage, repris mot pour mot la même année (après la seconde restauration) dans la brochure sur La, Responsabilité des ministres (pp. 39-40), fi~era en 1818 dans le Cours de politique constitutionnelle où cet ouvrage se trouve réimprimé (tome II, pp. 91-92). C'est là une description précise du système anglais : solidarité ministérielle,. duali~é de~ partis,, responsabilité parlementaire, dissolution et electtons si le parti majoritaire se désagrège. On notera seulement que Constant n'emploie pas le mot« parti». C'est un an plus tard - en décembre 1816 - qu'il c~mmence à user de ce mot, et non sans précautio!ls de langage, comme l'indique la parenthèse qui forme les premières lignes de sa brochure De la doctrine politique qui peut réunir les partis en France : « Un parti (je ne donne point ici à ce mot une acception défavorable, je m'en sers pour d~signer une réunion d'hommes qui profes.sent la même doctrine politique) ... » Ainsi vo1t-~1?p-rogres~e! ce qu'on pourrait appeler le relativisme politique. Dès 1814, Constant a conçu la monarchie constitutionnelle comme un moyen terme entre deux maux (Réflexions pp. x11-x~11): ~ Notre expérience (...) nou; dit que 1 anarchie est un mal, car nous avons connu l'anarchie ; mais cette expérience ne nous dit pas moins que le despotisme est un mal car nous avons éprouvé le despotisme... Une liberté sage est_le vœu de la France. » Ce relativisme constitutionnel entraîne un relativisme politique. La structll!e même du régime le conduit à admettre la coexistence des partis, niieux même : à soutenir que ~e ministère doit gouverner avec un parti. · Il écnt, dans la brochure ci-dessus citée de décembre 1816 (p. 34) : " Les ~épositaires du pouvoir ont une disposition facheuse à considérer tout ce qui n'est pas eux comme
RkJQdWJsaXNoZXIy MTExMDY2NQ==