N. VALENTINOV n'existait pas encore. Ils partent de l'observation des fossiles et des sédiments et en tirent la conclusion" logique" qu'il y a eu là une mer puisque ces éléments n'existent qu'au fond des océans. C'est de cette manière qu'Hérodote, si je ne me trompe, ayant trouvé des coquillages. marins dans la plaine du Nil, en conclut que toute l'Égypte avait jadis été sous les eaux. Qu'il s'agisse de cosmographie, de cosmogonie, de géologie _historique, de paléontologie, toutes ces sciences s'appuient sur la logique~ c'est-à-~re sur _les " lois " de la pensée du suJet connaissant, qw se transporte en imagination dans les temps l?réhistoriques, dans des espaces et des mondes. inconnus ; elles procèdent toutes par analogie avec des objets actuellement existants, ou avec des · objets que l'on sait avoir existé grâce aux renseignements transmis par les générati~ns précédent~s. Ces sciences partent toutes de faits, de dollJ?-ees de l'expérience, c'est-à-dire des sensations humaines. « C'est ainsi que s'opère le contact du sujet avec l'obJ'et fût-il la " masse ignée " de la terre. ' . "b " L' " œil " de l'homme de nos Jours o serve effectivement la terre en fusion et la théorie de la connaissance explique comment µ ~aut le comprendre. Vous appelez cette explication un conte à dormir debout. Mais, s'il n'y a pas coordination entre sujet et objet, s'il n'y a pas de lien entre eux, il faut admettre qu'il y a miracle : la connaissance sans celui qui connaît. Pour sortir de cette absurdité, il faut admettre de manière mystique la prése11:cde,'_unesprit com1!10:- niquant à l'homme ce qui etait au temps o_u tl n'y avait pas d'homme. Cela ne vaut pas mieux que la croyance en l'existence de Jonas dans le ventre de la baleine. « Dans toute idéation cognitive qui se transporte dans des domaines où il n'y a pas encore eu d'homme, il y a évidemment un élément hypothétique. La terre en fusion, dont vous parlez avec tant de conviction, n'est en ce sens qu'une hypothèse, une énigme, une vue de 1~ esprit. Toute l'histoire de la connaissance humaine est pleine d'erreurs et d'incertitudes : elle est l'histoire d'hypothèses, d'explications tenues en leur temps pour des v~rité~ et du re~placement de ces hypothèses qui naissent et qui meurent par d'autres hypothèses. Les ". vérit~~" qui _se meurent, qui n'ont plus de raison d etre, ne. disparaissent cependant pas de notre conscience et de notre être. « Ainsi la langue charrie de vieux termes qui traduisent des concépts périmés depuis longtemps. La science use du terme oxygène bien que l'on sache aujourd'hui que l'acidité ~st due à l'hydr<>-: gène. Nous disons que le soleil se lève, ce qui est une idée fausse qui avait .cours. avant Coper~ nie et Galilée alors que l'on ignorait que la terre tourne autou'r du soleil. Mach et Avenarius montrent que non seulemen~ la philosophie, 1~ psychologie, la l?sy~ho-phys1olog~e,mais aussi la physique, la chimie et la mécanique se servent Biblioteca Gino Bianco 201 de mots et de concepts qui portent la trace d'anciennes conceptions du monde, mythologiques et animistes. Ces fausses conceptions gênent la construction de nouvelles vérités qui permettraient au sujet collllaissant de mieux saisir l'objet, d'adapter plus harmonieusement les idées aux faits. « Cette nouvelle manière d'aborder en profondeur l'étude de la cognition, de ses formes et de ses modalités, cet ·effort pour épurer la connaissance de concepts inadéquats, de l'asseoir comme le dit Avenarius sur la base de l'expérience pure, est le très grand mérite de Mach et d'Avenarius. C'est à tort que vous en parlez comme d'un bavardage d'ignorants. Vous estimez que la thèse se rapportant à la théorie de la connaissance, à savoir qu'il n'y a pas d'objet sans sujet, est une histoire de bonne femme, une manifestation d'obscurantisme. Vous dites que le sujet n'a pu être présent à l'époque où le globe terrestre était en fusion et où l'homme n'avait pas encore fait son apparition. Je puis vous assurer que, du point de vue de la théorie de la connaissance, il était bel et bien là. » J'ouvris Der menschliche Weltbegriff et priati Lénine de méditer les paroles suivantes d'Avenarius : « Nous pouvons nous représenter un milieu dans lequel il n'y a jamais eu d'être humain ; mais en nous représentant ce milieu, en le pensant, nous ne pouvons nullement faire abstraction de nous-mêmes, de nous qui sommes l'élément central qui conçoit ce milieu. Nous pouvons soit nous • ,1\ • • • , '\ ignorer nous-memes, soit imaginer une epoque a laquelle il n'y avait pas d'être humain. Mais dans les deux cas, nous serons tout de même présents, soit comme spectateurs avides et conscients, soit comme spectateurs tellement pris par le spectacle que nous nous serons oubliés. » « Qu'en 4ites-vous? - Je dirai que ce soni des niaiseries, des élucubrations à la Gellert 1 ,· des Schrüllen sans aucune valeur pour la science~ )> * Jf Jf . IL ÉTAIT CLAIR que nous ne parlions pas la même langue. ·La discu~ston se· .pour~uiv~t_pe~- dant deux heures -et demie et le mur. s épa1ss1ssait entre nous. Lénine par moments se déchaînait et en· me prenant évidemnïent pour. cible il décochait à l'adresse de Mach une volée d'expressions telles que blagues, échappatoires stupides, obscurantisme, billevesées, ignorance, inepties, propos insensés, niaiseries idéalistes, misérable bavardage, etc. Peu à peu, je m'échauffais à mon tour. Je parlais -à Lénine -sans ce respect que je lui. av.ais manifesté- jusqu~alors comme tous les bolchéviks~·.Lénine :m'ayant fait observer que partager les vues de Mach me conduirait néces- ·1. Christian Fürchtegott Gellert (1715-1769), écrivain allemand connu pour ses Fables et récits et ses Cantiques (N.d.l.R.).
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