200 « Il en est évidemment ainsi lorsque, en abordant ces choses, nous les voyons, nous les entendons et nous les sentons. Toutes les choses " en soi " deviennent des choses " pour nous " lorsque nous les rencontrons, lorsque nous faisons leur connaissance; il en est même ainsi quand nous nous bornons à penser à elles car c'est nous (sujet) qui pensons à elles et personne d'autre. Dans quelque direction que le sujet se meuve, il ne trouve jamais et ne peut jamais trouver le monde " en soi " car, dans l'expérience, en face de l'objet se trouve toujours le sujet. .Quand on parle de la connaissance objective d'un monde extérieur indépendant de nous, cela ne signifie pas el?-coreque le sujet ne participe pas à cette connaissance. « L'homme ne peut jamais s'affranchir de luimême. Par conséquent, s'il est vrai qu'il n'y a pas de sujet sans objet, il est également vrai du point de vue de la théorie de la connaissance ~u'il n'y a pas d'objet sans sujet. Je pense que ·c est ce rapport que Berkeley tente d'exprimer par la formule esseest perd.pi, qui vous a tellement heurté : être c'est être perçu. L'existence de toutes les choses en dehors de nous se caractérise par Je fait qu'elles sont perçues, ressenties. Quand l'objet n'entre pas dans le champ de notre perception, nous ne savons absolument rien de lui, nous ne savons même pas s'il existe. Quand nous disons que l'objet existe, cela signifie qu'il entre ou qu'il est entré dans le champ de nos perceptions sensorielles. On ne peut pas faire grief à Berkeley d'avoir défendu sa formule à l'aide d'arguments obscurs et manquant de solidité : son Traité sur les principes de la connaissance humaineldate de 1709. » LES DISCUSSIONS PHILOSOPHIQUES avaient été mon dada depuis longtemps, surtout pendant les trois années de mon séjour à Kiev. Pour la premièrelfois, une occasion m'était offerte à:Genève par leJmémorandum de Lénine et je la saisis avec empressement. J'enfourchai donc mon dada et lui laissai la bride sur le cou. Lénine m'avait écouté en se retenant visiblement de me couper la parole. Finalement, il perdit patience et m'interrompit brutalement. Il était furieux et, les yeux plissés, il me regardait méchamment : « Je vous félicite : vous y êtes en plein. Sans sujet pas d'objet... Je ne vais pas employer des termes trop vifs, quoiqu'ils conviennent parfaitement; je vous dirai simplement que votre ton professoral ne saurait dissimuler votre obscurantisme. Celui-ci. est proprement incroyable. Voilà un exemple des sornettes que l'on peut débiter quand on sejette lesyeux fermés dans les bras d'une théorie réactionnaire, obscureet confuse. Esse est percipi. .. Le sujet est inséparable de _l'objet... Se peut-il que vous ignoriez que la terre, la nature, l'objet ont existé avant l'apparition du sujet, de l'homme ? Biblioteca Gino Bianc,___,o_ LE CONTRAT SOCIAL Ne savez-vous pas qu'il y a eu une période pendant laquelle le globe terrestre était une masse enfusion, que cette masse s'est refroidie et que les conditions de la vie organique ne s'y sont formées que peu à peu? Pouvait-il y avoir dans la masse en fusion un homme la percevant, se trouvant avec elle, comme vous dites, en coordination indissoluble? Mais c'est un conte à dormir debout.. ~ Toute cette pseudophilosophie n'est qu'un tissu d'insanités~ On .finirait par croire que le prophète Jonas a bien vécu dans. le ventre de la baleine.. Reconnaissez-vous le fait, scientifiquement établi, que pendant des centaines de milliers d'années il n'y a pas eu d'homme sur notre planète et qu'il a fallu une période d'une durée incalculable pour qu'à partir d'une cellule organique surgisse l'homme? Si vous l'admettez, il ne reste littéralement rien de vos formules sur un lien indissoluble entre le sujet et l'objet, rien de vos inepties, à savoir que sans sujet il n'y a pas d'objet. Mais si vous ne l'admettez pas, il vous faudra vous plonger dans les manuels les plus élé- '!'entaires pour vous débarrasser d'un obscurantisme inouï. » Kroupskaïa, qui assistait à notre discussion, ajouta, sarcastique : « Et ce sont des théories de ce genre que vous avez enseignées aux ouvriers d'Oufa et de Kiev? » . Je la regardai sans répondre. M'efforçant toujours de rester calme, je répliquai à Lénine : « Déjà la Bible parle de l'existence de la terre et du ciel avant la création de l'homme ; cette vérité est aujourd'hui connue même à l'école maternelle. Mais ce qui nous distingue de l'école maternelle où l'on n'enseigne pas la théorie de la connaissance, c'est que précisément nous en parlons, camarade Lénine, et votre position envers cette théorie a quelque chose d'étrange et d'incompréhensible. Quand je dis que, du point de vue de la théorie de la connaissance, il n'y a pas d'objet sans sujet, vous répliquez que, dans la terre en fusion, il ne pouvait y avoir d'hommesujet observant cette masse ignée. Vous me traitez de sinistre obscurantiste pour ne pas me qna1i6er d'idiot. Et pourtant l'objet de la connaissance est inséparable du sujet. « Au fait, d'où tenez-vous que notre planète a été une masse en fusion et qu'il n'y avait pas de vie ni d'homme? Cette connaissance vous vientelle par quelque voie mystique, par la révélation d'un esprit, ou vous a-t-elle été donnée en tant que résultat de l'activité d'un sujet connaissant qui s'est ,livré à des recherches et qui a élaboré des hypothèses? Vous vous intéressez seulement au fait que la terre a été en fusion alors que la théorie de la connaissance cherche à déterminer comment, par quels moyens la connaissance de . ce fait a été acquise, par quels contacts entre objet et sujet elle a été obtenue, quel degré de certitude peut lui être attribué du point de vue de cette théorie. « Les paléontologues et les géologues décrivent la f~une et la flore de l'ère géologique où l'homme
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