Le Contrat Social - anno IV - n. 4 - luglio 1960

N. VALENTINOV l'interner. Le monde extérieur, le monde de la matière existe en dehors de nous, indépendamment de toute perception et de toute sensation. Si votre Mach ignore cette vérité du matérialisme, c'est un âne bâté. Esse est percipi... A-t-on vraiment besoin de s'accrocher à de telles sornettes ? » Cela méritait une réplique. Mais me retenant de répondre sur le même ton aux invectives de Lénine, je rétorquai calmement : « Répéter sur tous les tons qu'il existe un monde indépendant de nous, démontrer ce que chaque homme normal sent et éprouve sans démonstration est ridicule, je vous l'assure. Croyez-moi, vous ne direz rien de plus fort que ce qu' Avenarius et Mach ont dit contre le solipsisme gnoséolo- _ gigue, contre la négation de l'existence d'un monde extérieur. A en juger par votre mémorandum et par ce que vous venez de dire, je m'aperçois que vous ne voulez pas approfondir ce dont il est question dans la philosophie que vous critiquez. Il s'àgit de la théorie de la connaissance qui étudie le processus de la cognition et qui analyse, non le contenu de telle ou telle science, mais l'origine et la formation du contenu général de la connaissance. C'est l'auto-cognition de la connaissance, c'est le désir de savoir ce qui s'accomplit et comment cela s'accomplit, à partir de quoi et de quelles prémisses nous commençons à connaître. La grande majorité des philosophes affirment que la donnée immédiate de la conscience est l'unique certitude et qu'elle constitue le point de départ de la conscience, toutes les données étant des faits de conscience. Ils retournent ainsi le cogito ergo sum de Descartes, dogme de la gnoséologie matérialiste qui part, elle, non de la conscience mais de la matière. « La position de l'empiriocriticisme est tout autre. Avenarius démontre que, dans l'analyse de la cognition, le point de départ naturel doit être la manière de voir de l'homme ordinaire, c'est-à-dire ce que l'on appelle avec mépris le réalisme naïf. Quelles que soient les théories de Platon, de Descartes, de Spinoza ou de Kant, le point de départ de toute cognition est cette thèse simple et irréfutable : chaque individu se trouve être l'élément central d'un système de coordination dont l'élément opposé est, ou bien une partie de l'environnement, ou bien un autre individu. Tout être humain - enfant ou sauvage, simple mortel ou philosophe - commence à connaître en partant de cette prémisse qui est pour Avenarius un produit de la nature, conservé avec soin par la nature elle-même. Ce qµi nous est donné immédiatement, c'est cette prémisse et non la théorie de la donnée immédiate de la conscience. « Vous ne pouvez pas affirmer que l'empiriocriticisme - ou comme vous l'appelez dans votre mémorandum le machisme - nie l'existence du monde extérieur, alors qu'il met justement en évidence que, dans le phénomène de la cognition, l'élément opposé, l'objet de la connaissance, est pour tout individu l'environnement - c'est-à-dire Biblioteca Gino Bianco 199 le monde extérieur. Poser comme point de départ de l'analyse de la connaissance la façon de voir de l'homme ordinaire, du profane, c'est admettre que la connaissance scientifique découle de la connaissance quotidienne, qu'elles assurent les mêmes fonctions et revêtent les mêmes formes. « Le sujet connaissant peut aborder de deux façons ce qui est, ce qui existe. Il peut faire abstraction de lui-même, ne pas prendre en considération sa propre structure psycho-physiologique, son propre état neuro-cérébral et, indépendamment de son " moi ", examiner, décrire et analyser tout ce qui se trouve en dehors du "moi", y constater la régularité des phénomènes et le lien causal entre tous les éléments du monde extérieur. En attirant l'attention sur l'importance biologique de la connaissance et sur la nécessité vitale d'adapter les pensées aux faits, l'empiriocriticisme souligne la tendance de l'idéation à l'économie des forces - ce qui conduit au monisme - et voit dans la science nne expérience collective de l'humanité guidée par ce principe d'économie. Cette méthode cognitive, dans laquelle le sujet connaissant fait abstraction de son " moi " sans se soucier de l'ensemble des éléments qui constituent notre corps est dite par Mach "méthode physique d'investigation ". « Contrairement à cette méthode, la cognition peut se concentrer sur les particularités, les fonctions et la structure des organes sensoriels du sujet connaissant, passant ainsi du "non-moi" au "moi". C'est la méthode psychologique, qui conduit aux sensations visuelles, auditives, olfactives, gustatives et tactiles qui sont les éléments les plus simples de notre cognition, de notre expérience, et qui ne peuvent être décomposés. « Vous dites qu'un homme qui bâtirait sa philosophie uniquement sur la sensation serait un homme perdu. Mais comment pouvons-nous connaître la nature, si ce n'est grâce aux sensations qui nous permettent de nous faire une image du monde? L'existence de deux méthodes d'investigation ne doit toutefois pas faire oublier que dans la vie, dans l'expérience, le " moi " et le " nonmoi " sont donnés ensemble, liés dans un système coordonné. Dans la cognition le sujet n'est pas séparé de l'objet, il ne peut se trouver dans quelque espace fantastique sans extension où il n'existe pas de "non-moi", d'environnement non révélé par les sensations. En ce sens, il n'y a pas de sujet sans objet. « Dans votre mémorandum, vous faites remarquer que le matérialisme founüt la connaissance objective d'un monde matériel indépendant de l'homme. Mais dans quel sens peut-on parler, dans la théorie de la connaissance, d'un monde extérieur indépendant de nous, d'un monde " en soi ", de choses " en soi " ? N'y a-t-il pas là une proposition fausse qui conduit certains adultes à poser cette question enfantine : " Quel est l'aspect des choses quand nous ne sommes pas là? "

RkJQdWJsaXNoZXIy MTExMDY2NQ==