N. VALENTINOV Citons comme exemple l'entretien au cours duquel Lénine, défendant Valentinov contre le reproche fait à celui-ci d'être d'origine noble, dit qu'il était lui-même « fils de propriétaire terrien » et rappela avec nostalgie « la beauté des vieilles allées de tilleuls». Et cet autre témoignage de Lénine, si important par sa précision, qu'il « avait commencé à devenir marxiste» en janvier 1889 *. Ou enfin ce que Lénine lui confia sur l'influence déterminante que la lecture des œuvres de Tchernychevski avait eu sur la formation de ses conceptions révolutionnaires, paroles notées immédiatement par Vorovski et restées jusqu'ici inédites **. Valentinov donne bien des détails intéressants sur les méthodes de travail de Lénine : il raconte comment Lénine écrivit son pamphlet contre les menchéviks Un pas en avant, deux pas en arrière, et comment il se « familiarisa » en deux jours et demi avec l'empiriocriticisme en « feuilletant » les gros volumes que Valentinov lui avait apportés. Valentinov signale un certain nombre de traits psychologiques de Lénine : sa croyance inébranlable (déjà...) dans son droit à tenir « la baguette de chef d'orchestre » ; sa virulence, même dans la discussion de sujets abstraits ; et surtout ses passages si caractéristiques d'une tension nerveuse extrême (la « rage » léninienne comme l'appelle Valentinov) à des dépressions plus ou moins prolongées. DANS UN CHAPITRE intitulé Heurt avec Plékhanov, le . narrateur rapporte un entretien où il déplut au « père du marxisme russe» en lui avouant son inclination pour l'empiriocriticisme de Richard Avenarius et d'Ernst Mach qu'il ne jugeait nullement incompatible avec le matérialisme historique. Plékhanov répliqua d'un ton tranchant pour lui signifier son mépris à l'égard des savants susnommés, précisant qu'il n'avait pas le temps de les lire. Valentinov, indigné de cette manière de juger sans savoir, raconta l'incident à Lénine qui prit aussitôt fait et cause pour Plékhanov, subodorant chez son interlocuteur un penchant au AINSILÉNINEavait accepté de lire les ouvrages des philosophes de l'école empiriocriticiste ; je lui avais promis de lui apporter les principaux. Je possédais Der menschliche Weltbegriff [La Conception humaine de l'univers] d'Avenarius et j'avais trouvé très vite chez un socialiste-révolutionnaire (S.R.) de mes amis Analyse der Empfindungen [ Analyse des · sensations] de Mach. Les choses furent plus difficiles avec les deux volumes de Kritik der reinen Erfahrung [ Critique de l'expérience pure] d'Avenarius. La bibliothèque ne prêtait pas cet ouvrage et • Et non pas en 1885 comme la biographie officielle veut le faire croire ( N.d.l.R.). •• Cf. Contrat social, n°• 2-3 du vol. I ( N.d.l.R.). Biblioteca Gino Bianco. 197 Tout en ressuscitant Lénine, Valentinov ne l'idéalise pas : si Lénine vit devant nous, il n'en devient pas plus captivant. Dans un certain sens sa personnalité se fait plus inquiétante encore. Sous forme de dialogues, Valentinov rapporte en détail le contenu de plusieurs entretiens avec Lénine. Comme s'il voulait dissiper les doutes quant à l'exactitude de propos échangés il y a une cinquantaine d'années, l'auteur assure qu'ils sont restés profondément gravés dans sa mémoire. Et l'on peut y ajouter foi quand on songe à la très vive impression que les contacts avec Lénine faisaient au jeune Valentinov. Celui-ci ne prétend certes pas que ses souvenirs soient de véritables comptes rendus sténographiques. Soyons toutefois persuadés qu'il reproduit avec beaucoup de précision, non seulement l'esprit et le contenu général des entretiens, mais encore les nuances de la pensée et même les tournures de phrases caractéristiques des deux interlocuteurs. Quant à la forme du dialogue, elle a acquis droit de cité par l'usage qui en est fait depuis des siècles dans ce genre littéraire que sont les mémoires. L'auteur la manie avec un art consommé : les tirades et répliques citées ont l'accent de la vérité, elles sonnent « à la Lénine ». Cela donne aux récits de Valentinov beaucoup de vie, sans rien retirer à l'authenticité et à la valeur du témoignage. M. KARPOVITCH. «révisionnisme». Ce fut leur première dispute. Valentinov pria Lénine de s'initier au moins à la philosophie d'Avenarius et de Mach. Lénine répondit que Marx et Engels avaient dit « tout ce qu'il fallait dire », que rien ne devait être révisé dans le marxisme, que toute révision ne mérite qu'une seule réponse : v mordou ! (« taper sur la gueule », sic, p. 255). Au chapitre suivant, Valentinov insiste pour que Lénine « fasse connaissance » avec les idées d'Avenarius et de Mach. A contrecœur, Lénine s'y résigne et Valentinov doit lui apporter « quelques œuvres de ces philosophes ». Alors vient le chapitre Explication orageuseavec Lénine. il était impossible de se le procurer dans le commerce. Le même socialiste-révolutionnaire me signala que V.M.. Tchemov, l'un des principaux dirigeants du parti S.R., avait l'ouvrage recherché; il me donna une lettre de recommandation. Tchernov me reçut très aimablement ; toutefois il hésita visiblement à me confier ses Avenarius, sachant que les Russes (seulement les Russes?) ont une tendance à s'approprier les livres prêtés. Lorsque je lui dis que l'ouvrage demandé n'était pas pour moi mais pour Lénine et que je le rapporterais dans une semaine, Tchernov eut un mouvement de surprise et de curiosité : « Lénine veut lire]Avenarius ? Comment expliquer ce miracle ? Je croyais que les questions philosophiques ne l'intéressaient pas. Il n'est pas
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