196 lisme se heurtait au marxisme récemment introduit en Russie. Ce fut pour ce dernier que Volski se prononça, en même temps qu'une importante fraction de la jeunesse russe. Dans ses souvenirs il met en relief les causes psychologiques qui le conduisirent, lui et les hommes de son âge, au marxisme, et plus tard certains d'entre eux, dont Volski lui-même, au bolchévisme (cela se passait immédiatement après la scission ·du parti socialdémocrate russe au congrès de 1903). Pour éviter d'être arrêté, Volski-Valentinov partit en 1904 pour l'étranger où il connut· Lénine qui avait émigré. Il était arrivé à Genève «léniniste» convaincu ; mais après une année de fréquentation avec Lénine il rompit définitivement avec lui et avec le bolchévisme. L'histoire de sa rupture est aussi intéressante et instructive que celle de sa conversion à la foi bolchévique. N. Valentinov se sépara de Lénine et des bolchéviks longtemps avant qu'ils eussent montré leur vrai visage. Il s'en éloigna parce qu'il ne put accepter leur intolérance doctrinale ni leur refus de la vérité objective. Là se révéla un trait de son caractère : une indépendance d'esprit liée à l'impossibilité foncière de se soumettre à toute « ligne » politique de parti si elle s'écarte de la vérité objective telle que Valentinov la comprend. Rentré en Russie, Valentinov rallia les menchéviks, mais de son propre aveu il fut un «mauvais » menchévik. L'expérience de la révolution de 1905 fit de lui un « révisionniste » ; elle l'amena à faire la critique de plusieurs thèses fondamentales du marxisme. Avant 1917, _Valentinov se consacra principalement au journalisme et à une activité littéraire. Ses articles parurent dans un cert~. nombre de périodiques et dans de grands quotidiens comme Rousskoïé Slovo [la Parole russe] et Kievskaïa Mysl [la Pensée de Kiev]. A ce propos il convient de signaler une autre particularité de Valentinov : la gamme étendue de ses préoccupations intellectuelles. Il publia de nombreuses études économiques et devint un spécialiste en la matière; il s'intéressait tout autant aux questions politiques, sociologiques et philosophiques. Juste avant la révolution, il entreprit un grand ouvrage sur l'histoire de la civilisation russe ; à cette fin, il se plongea dans la documentation écrite et, mû par sa passion du concret, fit de nombreux voyages d'études à travers la Russie. Malheureusement les chapitres écrits de cet ouvrage furent détruits pendant la révolution. En été 1917 Valentinov quitta l'organisation menchévique et n'adhéra plus à aucun parti politique. Aujourd'hui on peut le définir comme un démocrate « sans parti » et un socialiste modéré (évolutionniste). Mais si l'on devait préciser davantage, il faudrait ajouter que Valentinov est avant tout un esprit profondément original. Pour en finir avec ces renseignements d'ordre biographique, disons qu'après le coup d'État d'octobre 1917 il passa encore plus de dix ans en Russie ; sous la nep, il fut sept années durant LE CONTRAT SOCIAL rédacteur en chef du Journal du Commerce et de l'industrie, organe du Conseil supérieur de l'économie nationale. Dans cette période relativement libérale du régime soviétique ces choses-là étaient encore possibles. Son travail au journal, en contact permanent avec le Conseil supérieur de l'économie nationale, lui permit d'acquérir une connaissance profonde de l'économie soviétique, qu'aucun livre, de son propre aveu, n'aurait pu lui donner. En 1928, Valentinov_réussit à quitter l'URSS et s'installa à Paris où il réside toujours. Depuis, il a publié de très nombreux articles dans différentes publications de l'émigration russe, sous les pseudonymes de « N. Valentinov » ou de « E. Iouriévski >> et il écrit aussi dans la presse française. * Jf Jf S'il existe d'innombrables écrits sur Lénine, ses biographies sont relativement rares. On s'est surtout intéressé aux idées et à l'action de l'homme qui joua un rôle décisif dans l'histoire russe; sa personne même reste dans l'ombre. C'est non seulement le cas pour les publications soviétiques, tant officielles qu'officieuses, mais aussi, à quelques exceptions près, pour les livres et les articles publiés hors de Russie: l'image de Lénine manque de traits vivants. Les souvenirs de N. Valentinov comblent cette lacune. L'auteur est fondé à dire qu'il peut, mieux que d'autres, fournir des renseignements inédits sur Lénine. Cela s'explique par les circonstances de ses relations avec Lénine et par sa J manière particulière d'aborder le sujet. L'auteur pénétra certains « recoins de la vie de Lénine » qui ne furent jamais accessibles à beaucoup de léninistes. A cette époque Valentinov portait un très grand intérêt à Lénine ; ses souvenirs révèlent l'avidité avec laquelle il l'observait. L'homme l'intéressait non moins que le politique. Cependant, malgré son emballement du début, il n'aliéna point sa liberté d'esprit et ne devint pas up admirateur aveugle de Lénine. Il sut l'observer avec beaucoup de sagacité tout en se tenant de côté. C'est la raison pour laquelle, à travers les pages du livre, Lénine nous apparaît si vivant. A la lecture de ces souvenirs, l'aspect extérieur de Lénine se détache. très nettement : nous voyons son visage refléter des émotions, nous sommes témoins de ses gestes familiers, nous entrons dans sa chambre, nous connaissons les détails de son emploi du temps, son goût du sport et de· la culture physique. Devant nous surgit l'image peu commune d'un Lénine « gymnaste » et cc alpiniste », marcheur infatigable en montagne. Sur un plan plus «spirituel», nous découvrons ses goûts esthétiques, ce qu'il aimait dans la musique et la littérature classique russes. Les souvenirs personnels racontés par Lénine et rapportés par Valentinov offrent un intérêt particulier.
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