Le Contrat Social - anno IV - n. 3 - maggio 1960

B. SOUVARINE compte des écrits plus rassis de sa dernière année, ni supposer leur auteur capable de commettre les trop célèbres atrocités qui, après lui, ont déshonoré son œuvre. Entre le léninisme qui s'estompe et le stalinisme qui s'affirme, une différence de nature se dessine bientôt, malgré la continuité des formes apparentes, et elle finit par primer les analogies superficielles. On trouve dans Lénine bien des vues étroites et des simplifications dangereuses, mêlées à son marxisme élémentaire avec des certitudes tranchantes, des partis pris opiniâtres qui ont coûté cher en vies humaines - et ses héritiers retiendront fatalement la lettre qui tue, non l'esprit qui vivifie. Mais de Lénine en Staline apparaît un contraste essentiel : Lénine se trompe ou s'illusionne, il ne ment pas, du moins pas sciemment quant à ses principes ; Staline ne fait que mentir et tromper, de l'alpha à l'oméga, allant jusqu'à se convaincre lui-même de ses impostures. Sur le plan personnel, il arrive à Lénine de se montrer cynique dans les petites choses, pas dans les grandes. Alors que la félonie de Staline est une règle de conduite absolue sur tous les plans, du plus bas au plus haut. Le mensonge intrinsèque et systématique est l'âme du stalinisme, le critère qui trace une ligne de démarcation .prévenant toute confusion avec le léninisme 3 • On ne voit pas Lénine, par exemple, falsifiant une statistique, effaçant ou modifiant une date historique, supprimant dans une encyclopédie le nom d'un contradicteur politique. Staline se permet tout cela, fort de l'épouvante qu'il inspire par l'emploi illimité de la torture et de la peine de mort. Lénine avait la probité de reconnaître : « Les bases du socialisme n'existent pas chez nous. Les communistes qui imaginent qu'elles existent commettent la pire des fautes»; il prévoyait d'avancer «infiniment plus lentement que nous ne l'avions rêvé». Staline décrétera la réalisation achevée du socialisme en pleine évidence d'une inégalité des classes plus injuste et choquante que jamais, alors que l'exploitation de l'homme par l'homme sévit plus cruellement chez lui que partout ailleurs. Lénine dénonçait la « vantardise communiste», les « mensonges communistes», et souvent avouait les «erreurs», les «sottises» que lui et ses proches avaient commises. Staline a osé vanter «la vie meilleure, la vie joyeuse» au comble de la misère matérielle et de la détresse morale infligées par l'industrialisation à outrance et la collectivisation forcée aux sujets soviétiques accablés sous la terreur, en même temps qu'il se proclamait infaillible. Lénine n'idéalisait pas en bloc ses partisans dont 3. Un autre critère, mais qui tient également au mensonge, serait le chauvinisme délirant insufflé aux populations soviétiques par Staline et entretenu par la « direction collective » actuelle. Il y a là un signe de rupture totale avec toutes les variétés connues de socialisme et de communisme, de Marx à Lénine, et une parenté manifeste aveç l~ « national-sotj~- lisme » d'Hitler. BibliotecaGino Bianco131 il souligna maintes fois les faiblesses, il les inci~ait à prendre modèle sur la culture bourgeoise, « très supérieure à la nôtre», s'efforçant de les éduquer, les stimulant de ses conseils, partageant les responsabilités avec son entourage. A l'inverse, Staline avilit et démoralisa ses subordonnés, les fit périr en grand nombre, dressa les survivants corrompus à le flatter sans mesure, à le déifier sans vergogne. Là où Lénine ne craint pas de parler franchement de dictature, Staline exalte avec cynisme sa «constitution la plus démocratique du monde ». Même les crimes inqualifiables de l'époque stalinienne qui provoquent l'horreur et le dégoût, même les fameuses épurations aussi sanglantes qu'arbitraires, les hideux procès en sorcellerie, l'assassinat des compagnons de Lénine, le massacre des paysans, les déportations en masse sont des crimes au service du mensonge, le mensonge du «génial» Staline, du « plus grand des chefs de tous les temps et de tous les peuples » comme l'a glorifié Kirov, un de ses apologistes les plus serviles. La quintessence du stalinisme, c'est le mensonge. Et le « marxisme-léninisme » que . revendiquent de nos jours les héritiers de Staline, ses complices, n'est autre que le stalinisme qui ne veut pas dire son nom véritable. Un stalinisme purgé du «culte de la personnalité » paranoïaque de Staline auquel Khrouchtchev et consorts substituent le culte abject de Lénine, mais toujours un stalinisme où subsiste le mensonge fondamental. La nouvelle Histoire du Parti qui tient lieu de catéchisme aux communistes des deux mondes est aussi mensongère que le Précis dicté par Staline et tombé en désuétude, avec des variantes éhontées, des falsifications encore plus criantes à certains égards. Les nouveaux manuels d'histoire générale publiés à Moscou, non moins tendancieux, inculquent aux millions d'écoliers et d'étudiants soviétiques le dénigrement et la calomnie envers tout ce qui semble non conformiste. Les récentes Encyclopédies soviétiques retranchent de leurs pages la biographie des hommes ayant cessé de plaire, eussent-ils figuré en éminence dans les éditions antérieures. Toutes les populations soumises au credo du marxismeléninisme sont tenues de mentir, utilement ou non, sous Khrouchtchev comme sous Staline. Une infinité de mensonges s'ordonnent ainsi autour du mensonge central, celui de la « construction» (sic) du socialisme préliminaire à celle du communisme. Il n'est donc pas fortuit qu'à Paris, en mars dernier, Khrouchtchev se soit effrontément déclaré solidaire de Staline dans le suprême mensonge associé au crime suprême, l'accord avec Hitler conclu en invoquant la paix, au vrai pour provoquer le cauchemar de la guerre mondiale. Cette solidarité tout récemment réitérée confirmerait, s'il en était besoin, l'identification du stalinisme au «marxisme-léninisme », B. Soçv ARINE!

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