Le Contrat Social - anno IV - n. 3 - maggio 1960

QUELQUES LIVRES autocritiques publiées par les communistes, nombreux signes des difficultés croissantes rencontrées en 1959 par les dirigeants de Pékin, tout indique que ni les communes ni le « grand bond en avant » n'ont été si réussis que le dit M. Clark. Celui-ci donne malgré tout une idée de l'immense pouvoir de contrôle qu'impliquent les phénomènes dont il a été témoin. W. Stevenson fait montre de bien plus d'esprit critique dans ses jugements. En ce qui concerne les communes, il note une déclaration attribuée au général V. P. Moskovski, chef de la propagande intérieure soviétique, après une visite en Chine, selon laquelle les Chinois « s'avancent dans des directions erronées et dangereuses ». Il nourrit également plus de doutes que Clark sur l'efficacité de l'effort d'industrialisation. Il raconte avoir visité une ancienne usine d'aviation près de Kounming où quelque 500 mécaniciens et 3.000 techniciens semi-qualifiés, équipés de machines de précision, reçurent en 1950 l'ordre de produire des machines-outils de type soviétique. Celles-ci étaient mal adaptées aux besoins chinois (de toute façon, en cinq ans très peu furent produites). Le directeur de l'usine n'apprécia guère la nécessité de s'aligner sur les méthodes soviétiques et de transformer les pensées et le mode de travail de son personnel. Stevenson conclut : « En fait, des années précieuses ont été gâchées à tenter vainement de copier les Russes.» Il existe d'autres points de désaccord entre les deux Canadiens. Bien que l'un et l'autre parlent de la souplesse du régime, Clark estime que celui-ci fait usage « d'une patience et d'une douceur infinies», alors que Stevenson parle de la tactique de choc comme d'une arme opérationnelle normale entre les mains des communistes. Au sujet des ambitions extérieures de la Chine, Clark cite une déclaration rassurante qui lui fut faite par Tchen-yi, ministre des Affaires étrangères : « Le leadership ne nous intéresse pas, ni en Extrême-Orient, ni dans le reste du monde. » Or les observations de Stevenson sur les pays limitrophes de la Chine rouge sont loin de confirmer ce démenti. C'est âinsi qu'il a noté les lourdes dépenses engagées pour inonder le Népal de matériel de propagande et pour former des milliers d'étudiants originaires des pays voisins afin qu'ils propagent la doctrine « dans les territoires adjacents ». Son livre éclaire ainsi l'arrière-plan des pressions militaires et politiques exercées actuellement par les Chinois le long des frontières birmane, indienne et pakistanaise. Stevenson et Clark auraient gagné à être mieux informés sur la Chine et son régime actuel ; leurs livres fournissent néanmoins d'utiles aperçus sur ce pays sous la férule communiste. Leur thème principal est évident. Tous deux sont atterrés par l'embrigadement si bien imposé à tant de gens en si peu de temps. Ils estiment ensemble que le monde extérieur doit ne pas sous-estimer les techniques de contrôle de la Biblioteca Gino Bianco · 181 pensée mises au point en Chine. Stevenson parle d'une « ère de soumission collective » à la « force de choc d'une argumentation sans fin », d'une cc nation dont les centaines de millions · d'hommes qui tous ont le même aspect semblent penser aujourd'hui de façon uniforme» ; Clark décrit la visite d'une prison qui lui laissa cc une image terrifiante et révélatrice de la manière dont le cerveau est façonné pour convenir au système». LA BASEde l'effort communiste pour faire des Chinois des automates qui ,ne posent pas de questions réside dans les petits cc groupes d'étude» (hsueh-hsi hsiao-tsou) auxquels tout le monde est obligé d'appartenir, sous la conduite vigilante des militants du Parti 5 • Stevenson et Clark soulignent l'extraordinaire efficacité de l'énorme machine de persuasion et de contrôle de la pensée dont les groupes d'étude sont le rouage essentiel, complété par les cc comités de rue» dans les villes et une foule d'organisations similaires. Voici la description d'un comité de rue donnée par Clark : Le président du comité, d'habitude une ménagère qui, de chez elle, peut avoir l'œil sur les activités et les habitudes de ses voisins, a trois tâches principales : expliquer les objectifs du gouvernement, transmettre aux militants l'opinion du Chinois moyen et administrer les affaires d'intérêt commun. Une voie de communications dans les deux sens est ainsi établie. Si l'on décrète par exemple une campagne de destruction des mouches, c'est Mme la présidente qui veille à ce que les quelque deux cents familles qu'elle a sous son aile fassent preuve de l'esprit voulu. Cela-commence d'habitude par une ·réunion de rue. Mme la présidente et les membres de son comité exhortent les habitants à œuvrer pour le bien général. Si la persuasion échoue, on fait appel au sentiment de honte. A un rassemblement auquel assistaient plus de trois cents hommes, femmes et enfants, j'entendis la dirigeante s'écrier : c< Les yeux des gens sont étincelants comme la neige et ils sont sur toi, Li Tcheng! » Et Li Tcheng, un commis de boutique, de s'éclipser tout honteux, assez mortifié sans doute pour se porter aussitôt volontaire pour passer un week-end à des travaux de terrassement sur un barrage en construction dans les environs (pp. 42-43). L'EFFROYABLPEUISSANCdEu système de persuasion destiné à fausser l'esprit des gens apparaît avec plus de force encore dans le livre du Père Eleutherius Winance, compte rendu analytique de sa propre expérience du cc lavage de cerveau». Moine bénédictin et éducateur, l'auteur a passé seize ans en Chine d'où le régime communiste 5. Cf. H. F. Schurmann : cc Organization and Response in Communist China» in Contemporary China and the Chinese (Annals of the American Academy of Political and Social Science, vol. 321, janvier 1959, pp. 51-61) . •

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