Le Contrat Social - anno IV - n. 3 - maggio 1960

180 samment de points communs pour souligner l'ancienneté du despotisme en Chine et pour mettre en lumière certaines traditions sur lesquelles les gouvernants pouvaient s'appuy~r pour faire respecter leurs diktats. Ces parallèles montrent que la sécurité et l'ordre dont il est question dans les témoignages actuels ne sont nullement des innovations communistes, ni une preuve de la supériorité du marxisme-léninisme. Il est également caractéristique de constater que des observateurs aussi avertis que lesdits auteurs ajoutent foi aux interprétations officielles des communistes chinois, de même que les jésuites avec leur esprit universaliste avaient accepté bien souvent les points de vue et les versions de l'histoire répandus à la cour des Mandchous. C'est ainsi que William Stevenson, à qui les dons de critique et d'observation ne font pourtant pas défaut, répète sur les débuts de la carrière de Mao Tsé-toung et la campagne de 1952 contre !'écrivain Hou Feng les versions évidemment fondées sur l' « opération rewriting » communiste plus que sur des faits étayés par des documents. Lord Boyd Orr fait sienne la version officielle de la « réforme agraire » de Mao, que les statistiques communistes elles-mêmes ne confirment pas. Ou encore il parle du puritanisme de la Chine actuelle comme d'une « révolte contre la licence d'une caste dirigeante surannée», acceptant ainsi l'analyse de classe marxiste, indûment appliquée à une société féodale. Dernier exemple : ijoyd Orr et Gerald Clark s'étendent sur la « valeur pratique » des hauts fourneaux de poche qu'ils ont vus en 1958. Or, par une ironie du sort, au moment de la parution de leur livre, les communistes chinois eux-mêmes reconnaissaient que la production d'acier par des méthodes aussi primitives avait été de peu d'utilité et avait même désorganisé les transports et la rentrée des récoltes. Cependant, malgré certains traits communs, il existe un contraste net entre ces livres et les écrits des temps confucéens. Jadis, les observateurs avaient sous les yeux une Chine essentiellement humaniste qui mettait la famille au centre de la sollicitude officielle, un pays dont l'autoritarisme politique était tempéré par certains freins au pouvoir total, une doctrine qui mettait l'accent sur les relations personnelles plutôt que sur des forcesmatérialistes impersonnelles. Aujourd'hui, le tableau est tout autre. Nos quatre auteurs, chacun à sa façon, peignent un pays en proie à un despotisme illimité, un effrayant système de pouvoir et de contrôle qui, rétrospectivement, justifie presque le jugement de Du Halde qualifiant de «modéré» l'ancien pouvoir des Mandchous. WILLIAMSTEVENSONa beaucoup voyagé en Chine et alentour de 1954 à 1957 en qualité de correspondant du Star de Toronto. Bien qu'il n'ait jamais réussi à pénétrer au Tibet, il a pu BibliotecaGino Bianco· LE CONTRAL SOCIAL v1s1ter certaines régions périphériques peuplées de minorités nationales et a beaucoup vu. Son reportage, bien qu'assez mal construit, est d'une lecture passionnante et reflète l'esprit d'un journaliste qui s'efforce d'aller plus loin que ne l'aimeraient les gouvernants communistes. Gerald Clark, Canadien lui aussi et correspondant du Star de Montréal, a parcouru la Chine en 1958 de façon beaucoup plus sommaire. Son volume, plus succinct, constitue un bon pendant à celui de Stevenson. Tous deux ont constaté que, pour un reporter, la Chine communiste est hérissée de difficultés et d'obstacles auxquels n'échappent pas les correspondants de presse des pays communistes. Clark affirme : A aucun moment je n'ai réussi à avoir un entretien sans cérémonie ou un repas seul à seul avec un Chinois. Les apparences trompeuses sont également soulignées par W. Stevenson. Parmi ses souvenirs du Nord-Vietnam sous contrôle communiste (dont une interview avec Ho Chi-minh), figurent des révélations qui lui furent faites sur des « décès provoqués par la famine ou le travail forcé », sur les lois foulées aux pieds et sur l' « exécution l'un après l'autre» de membres du Parti. Pourtant, le chef de la police de sécurité lui assura imperturbablement : « Non, nous n'avons exécuté personne.» Ce cas, conclut-il, « prouve à quel point il est dangereux pour les observateurs occidentaux de se fier à leurs yeux et à leurs oreilles dans le camp communiste». Le séjour de G. Clark en Chine pendant l'année du « grand bond en avant» ( 1958) lui a permis d'assister à l'apogée du frénétique effort écononomique du régime et il semble avoir été frappé par ce « dynamisme et cette fièvre sans exemple à aucune époque de l'histoire nationale ». Les grands travaux réalisés grâce à une main-d'œuvre massive, la réorganisation générale de la Chine rurale en communes populaires et l'extrême confiance en soi des dirigeants l'ont impressionné au point qu'il tend à prendre pour argent comptant beaucoup d'affirmations péremptoires. Il note dans son avant-propos qu'au moment où son livre était mis sous presse, les communistes en rabattirent sur certains de leurs chiffres de production pour 1958; il n'en estime pas moins que les « principaux résultats du progrès industriel et agricole demeurent impressionnants et même inquiétants » (p. VIII). Au sujet des communes, il répète la version officielle suivant laquelle les paysans les acceptent; les familles ne sont pas séparées, les vieillards sont satisfaits des « maisons heureuses pour gens âgés » et la << communisation » signifie un rendement accru de la production agricole (chap. 7 et 8). Or, récits de réfugiés ayant trouvé asile à Hong-Kong en janvier 1959, lettres écrites par des Chinois du continent à des parents résidant à l'étranger 4, 4. Cf. « Letters from the Communes » in The New Leader, New York, 15 juin 1959.

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