Le Contrat Social - anno IV - n. 3 - maggio 1960

176 trace de la confiance que les grands ordres avaient accordée, des siècles durant, au chapitre ou à la congrégation générale. Reste cependant la question de l'origine de certaines pratiques de scrutin adoptées par le code de 1789. Résultent-elles, elles aussi, de l'air du temps ? C'est peu probable : les ·techniques ne s'improvisent pas ; et il suffit de voir la façon compliquée dont l' Encyclopédie, au mot «Election », définit les notions de majorité absolue et de majorité relative, pour mesurer combien celles-ci étaient peu familières au siècle des Lumières. D'où viennent dès lors les techniques inscrites dans le code de 1789 ? On ne peut manquer d'être frappé par l'identité ou la similitude d'un certain nombre de pratiques édictées par les notables, à la veille des Etats généraux, avec ce qui était à l'époque en usage courant dans l'Église et plus particulièrement dans les ordres. Le code rendait obligatoire, par exemple, la majorité absolue : cette exigence, qui n'avait pas cours en Grande- Bretagne, M. Cadart nous dit qu'elle avait sa source dans les coutumes de l'Église 12 ; et en effet celle-ci avait de tout temps condamné le principe de la majorité relative pour les élections. Le scrutin à plusieurs tours qu'implique le principe de la majorité absolue était, lui aussi, d'origine ecclésiastique et fort ancienne 13 , nous l'avons vu. Le scrutin secret, exigé par le roi, était en usage dans l'Église depuis le xne siècle au moins ; il ne devait entrer dans les mœurs laïques qu'au x1xesiècle, et en Grande- Bretagne, mère de tous les régimes démocratiques modernes, en 1872 seulement. Le code de 1789 précisait encore que la majorité absolue n'était requise qu'aux deux premiers tours de scrutin et qu'au troisième la majorité relative suffisait. C'est le cas, de nos jours, en droit canon ; mais l'usage remonte, selon toute vraisemblance, à une époque bien antérieure à 1789, du moins pour les décisions capitulaires. · Le code ajoutait qu'au troisième tour les électeurs ne pouvaient plus voter que pour les deux 12. Op. cit., p. 135. Il est curieux de constater que l'Angleterre, dès le xn1e siècle en lutte avec l'Église, n'ait pas connu les tours de scrutin et ait adopté le principe de la majorité relative. 13. Au xv1° siècle, chez les camaldules, le premier tour de scrutin secret se faisait par écrit, « con la scheda » : c'était un « tour de poste ». Le second, où la majorité absolue était décisive, se faisait « usando le palle nere e bianche » : authentique « ballottage ». On voit à quel degré de raffinement les ordres étaient arrivés dès cette époque. Biblioteca Gino Bianco· DÉBATS ET RECHERCHES candidats qui avaient obtenu le plus grand nombre de voix au tour précédent ; c'était là depuis des siècles une façon courante, dans certains ordres, de limiter automatiquement le nombre des scrutins. L'article 47 du règlement de 1789 spécifiait encore : « Il sera procédé au scrutin autant de fois qu'il y aura de députés à nommer. » La pratique existait dans nombre d'instituts religieux pour nommer, par exemple, les assistants du général. Ce n'était donc pas une innovation 14 • M. Lachapelle signale qu'« une autre innovation intéressante» consista à élire des députés suppléants; depuis 1228, les frères prêcheurs avaient pris l'habitude d'élire des socii destinés à accompagner les électeurs ou les législateurs provinciaux se rendant au chapitre général et, le cas échéant, à les remplacer. Autre coïncidence à tout le moins curieuse : le nombre de scrutateurs. Ils étaient trois, dans les élections des ordres religieux comme dans les assemblées des États. Dans l'un et l'autre cas, ils pouvaient être élus à la majorité simple. Le greffier du bailliage faisait office de secrétaire; c'était un notaire, clerc de préférence, assisté de cinq témoins qui jouait ce rôle dans les élections abbatiales; mais le principe d'un secrétaire de scrutin, personne neutre, existait ici et là. En 1789, il était prévu que les électeurs, scrutateurs en tête, iraient déposer leur bulletin, ostensiblement et un à un, dans un vase ou une urne; usage destiné à combattre la fraude et que l'on retrouve, dans les constitutions des premiers . ordres, bien avant le xv1e siècle. Une fois les bulletins déposés, les scrutateurs devaient les compter. «Si le nombre trouvé était supérieur à celui des électeurs (...) le scrutin était annulé( ...) et les bulletins étaient brûlés» : c'était très exactement le processus observé depuis toujours par les dominicains. « Les bulletins et les notes des scrutateurs étaient soigneusement brûlés après chaque tour de scrutin », écrit encore M. Cadart. C?est ce que prévoit, par exemple, l'article 423 des constitutions actuelles des frères mineurs; et l'article 171 du code canonique le reprend à son compte. Mais on pourrait citer bien d'autres exemples de pareille mesure, et bien antérieurs à 1789. , « En cas d'égalité des suffrages, ajoute M. Cadart, le plus âgé était proclamé élu. » Même principe dans les ordres, encore que moins gérontocratique, puisque c'est le plus anciennement entré en religion (qui peut être le plus jeune) qui l'emporte. 14. Contrairement à ce qu'affirme G. Lachapelle : _op. cit., p. IO.

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