Le Contrat Social - anno IV - n. 3 - maggio 1960

L. MOULIN utilisant une formule stéréotypée : « à l'unanimité des présents » ou « par acclamations unanimes », qui couvre du voile de Noé les plus graves dissensions. Il n'est donc pas extraordinaire qu'ils n'aient pas abordé la question des origines, pour eux sans doute très incertaines, de ces techniques. Notons encore qu'il arrive très souvent que de véritables bouleversements politiques ou des innovations audacieuses ne soient pas notées - du moins comme nouveautés - ou le soient au passage, d'une plume distraite, et sans que le chroniqueur prenne la peine de rien expliquer. A Gênes, par exemple, en 1190, les consuls sent remplacés par un podestat; mais cette révolution, qui marque un tournant dans l'histoire de la cité, est indiquée par les mots les plus conventionnels qui se puissent trouver : « Convenerunt in unum et de communi consilio statuerunt », ce qui est une véritable clause de style, sauf dans ce cas précis - mais rien ne l'indique. Enfin il est encore une raison importante au silence des chroniqueurs : c'est que le traditionnel anticléricalisme de la bourgeoisie des communes n'aurait certainement pas vu d'un très bon œil qu'on avouât des emprunts trop fréquents aux coutumes monastiques ou ecclésiastiques. On aurait craint que l'impérialisme des gens d'Église y trouvât un aliment nouveau. D'où le silence sur des faits qui, par ailleurs, devaient être connus de tous. Sourcilleuse comme elle l'était, la bourgeoisie de l'époque, à supposer qu'elle eût manifesté quelque intérêt pour la question, n''lura it guère aimé qu'on rappelât sa dette envers l'Eglise et moins encore envers « les moines ». Le code de 1789 et l'Église DANSQUELLEMESUREles communes ont-elles transmis ces pratiques aux États généraux et, d'une façon générale, au monde moderne ? Il est assez malaisé de le dire. Dans l'ensemble il apparaît que les techniques en usage au xve et au xv1e siècle dans les universités, les corporations et les États ne marquent guère de progrès par rapport à celles qu'utilisaient Venise ou Florence au Moyen Age. De toute façon, elles sont loin de valoir en précision et en régularité celles de l'Église et des ordres de leur temps. Quant au code électoral de 1789, marqué d'incertitudes et de tâtonnements, imprégné d'autre part du libéralisme, de la bonne volonté de Louis XVI, sa difficile élaboration semble indiquer qu'il ne fit guère d'emprunt systématique aux codes antérieurs, à supposer qu'il s'en trouvât. En fait, l'administration ne savait même plus comment avaient été convoqués et élus les Etats de 1614; les recherches d'archives ne donnant rien, il fallut improviser; le travail s'en ressentit. Sommairement esquissés, les principes du régime électoral adopté en 1789 pour édifier ' Biblioteca Gino Bianco - 175 « l'assemblée représentative de la Nation entière », selon l'expression du préambule, sont les suivants : a. Droit de suffrage « pratiquement universel et égalitaire ». Le roi avait écarté la prop9sition peu démocratique, faite par Philippe-Egalité, d'imposer un suffrage censitaire : elle sera reprise par la Révolution. Monsieur, frère du roi, le futur Louis XVIII, aurait voulu que le droit de suffrage fût accordé à tous les Français majeurs : Necker s'y opposa. Les femmes, qui au cours des siècles précédents avaient joui du droit de vote au titre de chefs de famille ou de veuves et filles habitant une maison distincte, ne furent donc plus invitées à participer aux scrutins qu'en tant que religieuses ou femmes, filles ou veuves possédant fief, de la noblesse; b. Conditions d'éligibilité très larges, correspondant à une liberté quasi absolue de l'électeur : les lettres de convocation se bornent à recommander d'élire des hommes dignes de confiance « par leur intégrité et (...) le bon esprit dont ils seront animés ». « La neutralité du pouvoir fut absolue : nulle part il n'y eut de candidat officiel 11 • » Aucun régime, jamais, ne se montra aussi libéral : des protestants, hors la loi depuis la révocation de l'édit de Nantes, furent élus ; c. Élection à la majorité absolue ; d. Scrutin à plusieurs tours ; e. Scrutin écrit et secret dans les assemblées de bailliage, ainsi que l'avait voulu le roi; public dans les villes et les paroisses ; secret à nouveau au d~rnier degré d'élection, celui des députés aux Etats généraux. Ce code, quelles en sont les sources? Nous avons dit pourquoi les codes précédents n'ont guère pu l'inspirer. Reste « l'esprit du siècle », terme vague s'il en fut, mais qui a sans doute foumi les grands principes directeurs, la bonne volonté, le désir de bâtir quelque chose de neuf et de rationnel. L'étude de l'influence des sytèmes sur les idéologies est toujours des plus incertaines. Nous ne nous y engagerons point. Admettons plutôt qu'une déclaration comme celle des oratoriens en 1681 (« La puissance et l'autorité suprême et entière de la congrégation résident dans le corps de la congrégation dûment assemblée, à laquelle le général demeure soumis ») n'ait joué aucun rôle dans l'élaboration des mystiques d'assemblée et n'ait exercé aucune influence sur les notables de 1789, dont beaucoup pourtant avaient fait leurs études dans les collèges de l'Oratoire. Admettons encore que dans la foi en une assemblée représentative ne se soit glissée aucune 11. '"J. Cadart : op. cit., p. 126.

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