170 dramatique la plus remarquable de la seconde phase du dégel. Toutes ces pièces remportèrent un très grand succès et se jouèrent devant des salles combles. La réaction des critiques fut divisée, ce qui était un progrès en comparaison avec le conformisme de la période stalinienne. Les voix du passé LA RÉHABILITATIOduN « théâtre révolutionnaire » mettait bien entendu en cause le système de Stanislavski. Les artistes, si longtemps tenus dans un carcan au nom de ce dernier, commencèrent à abandonner son système. A une réunion du conseil de l'Organisation du théâtre soviétique (V.T.O.) en 1956, Nicolas Okhlopkov, le survivant le plus distingué du «théâtre révolutionnaire », dont les méthodes s'inspiraient de Meyerhold, s'étonna que tant de théâtres fussent dominés par le prosaïsme, un réalisme mesquin et la monotonie. Pourquoi les spectacles étaientils si dénués d'étincelle créatrice, de passion ? Était-ce parce que les metteurs en scène étaient devenus incompétents ? Il imputa cet état lamentable au monopole du système de Stanislavski « tel que l'interprétaient à leur manière ses disciples Toporkov et Kédrov » 4 • Le discours d'Okhlopkov fit sensation dans le monde théâtral soviétique. Dans la revue Théâtre, les disciples de Vakhtan-· gov, Rouben Simonov et B. Zakhava, mirent en cause la tendance de Stanislavski à faire une nette distinction entre l'« art d'expérience», enraciné dans son naturalisme psychologique, et l'« art de représentation». Ils conseillaient d'en revenir aux principes de Vakhtangov, qui faisaient la synthèse de ces deux formules théâtrales. Le metteur en scène Béboutov écrivit dans la même revue un commentaire encore plus mordant: Il est temps que nous nous rendions compte de cette simple vérité : ce n'est pas l'acteur qui est fait pour le système, mais le système pour l'acteur. Il est temps de comprendre que le système de Stanislavski n'est nullement la clé unique de toutes les créations dramatiques de toutes les époques; -il n'est qu'une méthode née des arts dramatiques tels qu'ils se présentaient à la fin du x1xe siècle et au début du xxe. Nous ne pouvons guère nous attendre à obtenir des résultats positifs en appliquant sans modification cette méthode à l'héritage classique, par exemple aux œuvres de la Renaissance. Et enfin il est temps de cesser de dénoncer comme de méprisables formalistes tous les acteurs et metteurs en scène qui suivent leur propre voie et, par leurs travaux, 4. V. Toporkov et N. Kédrov avaient collaboré avec Stanislavski à la mise en scène expérimentale du Tartuffe qui, malgré 553 répétitions, ne fut jamais représenté. Toporkov est l'auteur d'un Stanislavski répète. Kédrov succéda à Némirovitch-Dantchenko à la tête du Théâtre d'Art de Moscou. Biblioteca Gino Bianco L'EXPÉRIENCE COMMUNISTE enrichissent l'art, patrimoine commun aux nombreuses minorités nationales. Le débat sur l'état du théâtre soviétique reçut une nouvelle et vigoureuse impulsion lorsque le Berliner Ensemble, groupe théâtral créé après la deuxième guerre mondiale par Bertolt Brecht à Berlin-Est, vint jouer à Moscou et à Léningrad pendant l'été 1957. Les idées de Brecht, attiré par les éléments humanistes de la théorie marxiste, n'avaient jamais été orthodoxes et il s'était souvent trouvé en conflit avec le Parti. Néanmoins, les représentations du Berliner Ensemble firent une vive impression ; si les comptes rendus officiels furent généralement bienveillants, bien que d'un ton plutôt réservé, quelques critiques parurent enclins à admettre Brecht au panthéon du réalisme socialiste, ainsi qu'en témoigne un commentaire d'A. Anikst: A mon avis, le théâtre de Brecht est un témoignage convaincant de la richesse et de la diversité du réalisme socialiste ... Le Berliner Ensemble défend ses propres principes. C'est précisément parce que son art est si nettement individualiste qu'il a enrichi notre compréhension du réalisme socialiste et de ses possibilités. Toutefois, comme en 1954, toutes ces tentatives firent long feu. Le théâtre ne put échapper longtemps à la campagne contre le révisionnisme déclenchée en 1957 : le Parti essaya bientôt de sauver l'hégémonie du système de Stanislavski qui lui paraissait constituer une garantie d'orthodoxie idéologique au théâtre. Dans sa campagne pour faire accepter le système, le Parti usa de la tactique qu'il avait déjà employée pour défendre le réalisme socialiste : le concept fut élargi et les «déformations dogmatiques » désavouées. Un texte préparatoire au Congrès des travailleurs du théâtre, des dramaturges et des critiques, tenu à Moscou en octobre 1958, affirmait : Les tentatives faites pour exploiter de manière créatrice ce· qu'il y a de meilleur dans les autres écoles ne saurait soulever d'objections. Il est toutefois incompréhensible que la tendance traditionnelle représentée par Meyerhold et Vakhtangov soit tenue aujourd'hui pour une innovation, alors que la tendance favorable au système de Stanislavski - en usage aux Théâtres Meyerhold et Vakhtangov ainsi que dans tous les autres bons théâtres - est considérée par certains critiques comme routinière. On pourrait faire remarquer que les conceptions artistiques de Vakhtangov et de Stanislavski étaient sans conteste plus souvent en accord qu'en désaccord~ Il n'est donc guère justifié de séparer la tradition de Vakhtangov du principal courant de réalisme au théâtre, c'est-à-dire de l'école Stanislavski. Les contradictions, non pas absolues mais relatives, qui existent entre les deux écoles n'empêchent pas que Vakhtangov était le disciple le plus proche de Stanislavski et que jusqu'à la fin de sa vie il considéra celui-ci comme l'autorité suprême en matière d'art. Pareillement, il y a des points de contact entre les expériences de Stanislavski et celles de Meyerhold, qui apprécia la nouvelle méthode de Stanislavski au milieu des ann.ées 30, puis collabora avec lui.
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