16S responsable de l'état des choses), elle n'en annonçait pas moins la fin des pires excès de la jdanovchtchina. La nouvelle ligne fut officiellement sanctionnée par Malenkov qui, dans son discours au XIXe Congrès (octobre 1952), invita les artistes à partir en guerre contre «tout ce qui est négatif, pourri et périmé et à réduire en cendres tout ce qui entrave notre marche en avant ». Leur tâche consistait comme par le passé à «inculquer aux hommes et aux femmes (...) le caractère, les capacités et les habitudes non corrompus par les plaies du capitalisme» ; mais ils n'avaient plus à fermer les yeux sur «les vices, les défauts et les manifestations de la dépravation qui existent encore dans la société [soviétique] ))• Réalisme critique nouveau genre LA DÉCLARATIOdNe Malenkov fut le signal de l'apparition de pièces de critique sociale. La nouvelle tendance se manifesta d'abord avec hésitation, pour prendre de la vigueur après la mort de Staline en mars 1953. La comédie de Serge Mikhalkov, Les Crabes, se conformait très fidèlement au modèle prôné par Malenkov, Le Révizor de Gogol. La pièce, montée en 1953, fit sensation car elle ne présentait que des « personnages négatifs». L'action a pour protagoniste un intelligent jeune homme qui fait croire à un directeur d'usine (membre du Parti) et à sa femme pleine de suffisance qu'il à l'intention d'épouser leur fille. Le jour du mariage, il disparaît avec les fonds de l'usine. Une nuée de bureaucrates, de fonctionnaires et de policiers corrompus et obtus sont menés par le bout du nez et ridiculisés. Les directeurs des salles qui montèrent ]a pièce procédèrent d'abord avec beaucoup de prudence; selon leur degré d'audace, ils présentaient une des trois variantes du dénouement. Mais le Parti réagit favorablement, suggéran1 même que la pièce n'était pas assez agressive. Les auteurs ne se le firent pas dire deux fois. En 1954, une demi-douzaine de théâtres montaient une nouvelle pièce de Léonide Zorine, Les Invités. Alors que Les Crabes n'étaient en fait que l'adaptation gaie d'un sujet classique, Les Invités visaient par leurs traits acérés le cœur même de la société soviétique. Le personnage central de la pièce est un certain Pierre Kirpitchov, fils d'un vieux bolchévik, lui-même fonctionnaire du ministère de la Justice, arrogant et sans scrupules. Dans une des dernières scènes, le père de Kirpitchov sermonne son fils : « Le pays devint plus fort, les gens plus riches. Puis, sans qu'on y ait pris garde et petit à petit, à côté de travailleurs durs au labeur, des gens comme toi apparaissent : des bureaucrates gloutons, suffisants, sans âme, qui ont perdu tout contact avec le peuple.» La presse du Parti avait critiqué la comédie de Mikhalkov parce qu'elle n'expliquait Biblioteca Gino Bianco !.'EXPÉRIENCE COMMUNISTE pas comment pareils personnages avaient pu se développer et pourquoi on ne . les avait. pas démasqués depuis longtemps. Z?rme f?Ut?tt la réponse par la bouche du vieux Kirp1tchov lorsqu'il dit à son fils : « J'ai peiné côte à côte av~c les grands travailleurs de notre pays. Je trav~tllais et je ne connaissais pas le goût du pouvoir ; mais toi, tu y as pris goût depuis l'enfance, et ce pouvoir t'a empoisonné.» Dans la pièce de Zorine, deux groupes hostiles s'affronten~ : d'une part, Pierre Kirpitchov et les fonctionnaires de l'appareil d'État, de l'autre les intellectuels et les hommes du peuple. Que la politique de «déstalinisation » ait trouvé aussi ses propagandistes parmi les aute1;1rsdramatiques, prêts à traduire la nouvelle bgne en «héros» et en «scélérats» stéréotypés, l'exemple des Ailes d'Alexandre Komeïtchouk, montées en 1954, le prouve. Dans cette pièce, la· responsabilité de la terreur, des purges et de la peur générale qui avait si longtemps paralysé la vie soviétique est imputée à la «bande à Béria » alors que les nouveaux dirigeants sont présentés en rose. Néanmoins les horreurs du passé récent étaient, pour la première fois, franchement discutées : la femme d'un secrétaire du Parti, Anna, accuse son mari de l'avoir lâchement trompée et abandonnée alors qu'elle était injustement persécutée. Le théâtre était plus proche d~ la réalité qu'il ne l'avait été à l'époque staJiruenne. Mais il devint bientôt manifeste que les critiques étaient allées plus loin que ne le voulaient les dirigeants. Beaucoup d'auteurs, non contents de critiquer les faiblesses et les défauts de l'appareil bureaucratique, allaient jusqu'à remettre en question .la société communiste. En 1954, le Parti se vit donc contraint de mettre fin à la libéralisation du théâtre. A une réunion extraordinaire du collège du . ministère de la Culture, la pièce de Zorine fut soumise à une critique cinglante. Dans un langage qui rappelle celui de Jdanov («logique putride », « fatras nuisible »), l'auteur fut accusé d'avoir délibérément présenté la réalité . soviétique sous un faux jour, d'avoir peint des « gredins et des scélérats » comme des représentants caractéristiques de tout l'appareil soviétique, d'avoir affirmé que de « sales types» tels que Pierre Kirpitchov sont les fruits naturels de la société soviétique plutôt que des aberrations. La résolution nommait pour les réprimander les personrles et organismes qui avaient approuvé la pièce ou du moins ne l'avaient pas interdite : les confrères de Zorine, les écrivains Simonov et Boris Lavrénev, les critiques de divers journaux et revues, les censeurs du ministère de la Culture et les théâtres qui l'avaient jouée. Les autres pièces de critique sociale furent également interdites. Seules Les Ailes de Korneïchouk échappèrent à la censure vengeresse du Parti, de toute évidence parce que ses flèches visaient spécialement le clan Béria déjà liquidé.
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