W. GRIFFITH .. Tels étaient les principaux courants de la pensée révisionniste qui prenaient de plus en plus de vigueur parmi les communistes d'Europe orientale dans les mois qui aboutirent aux bouleversements historiques d'octobre 1956. En Pologne et en Hongrie, où le ferment des idées était le plus actif, le révisionnisme devint le fer de lance intellectuel des forces de la révolte antistalinienne et joua un rôle décisif en provoquant les explosions d'octobre. Mais les deux révoltes prirent un tour radicalement différent. En Pologne, l'appui prêté par les révisionnistes à Gomulka lui permit de circonscrire !'Octobre polonais, de maintenir le monopole du parti communiste et d'éviter ainsi les représailles soviétiques. En Hongrie, le révisionnisme fut submergé par les forces beaucoup plus puissantes du réveil du nationalisme et céda devant la soif de liberté politique, ce qui eut pour résultat la brutale tragédie de l'intervention soviétique. La campagne antirévisionniste EN RAISONdu rôle joué par le révisionnisme dans les événements de 1956, la politique soviétique fut marquée en 1957 par un retour à un conformisme idéologique des plus rigides. La nouvelle politique reçut son expression officielle et acquit force de loi pour l'ensemble du bloc par la déclaration des douze partis faite à Moscou en novembre 1957, qui désignait le révisionnisme comme le «principal danger » pour le communisme mondial et qui donna le signal d'une campagne antirévisionniste dans tous les pays du «camp socialiste ». La déclaration des douze partis, à laquelle les Yougoslaves refusèrent de souscrire, laissait également présager une nouvelle rupture des relations du bloc avec Tito ; la rupture eut lieu à la suite de la publication du «Projet de programme » du parti yougoslave en avril 1958. Bien que le contenu du programme n'offrît rien de nouveau, la propagande sino-soviétique en prit aussitôt prétexte pour présenter Tito et ses compagnons comme les fomentateurs du complot «révisionniste ». En fait, le véritable litige entre Moscou et Belgrade portait beaucoup moins sur l'idéologie que sur les rapports entre les deux États (en particulier, sur le refus de Tito de s'aligner sur le bloc); l'accusation de «révisionnisme» n'était donc qu'un artifice de propagande destiné à camoufler l'échec de la politique de réconciliation de Khrouchtchev vis-à-vis de Belgrade. Le « révisionnisme » était devenu un slogan servant à dénoncer tout ce qui était hostile aux intérêts . . , . s1no-sov1et1ques. Dans sa phase anti-yougoslave, la campagne contre le révisionnisme connut de grandes différences d'intensité. La Chine, mue peut-être par son ressentiment envers l'influence yougoslave en Asie, joua dès le début un rôle extrêmement Biblioteça Gino Bianco •. 157 agressif, bien qu'à tout prendre il paraisse peu probable que Pékin plutôt que Moscou fut l'élément moteur dans l'assaut contre Tito. En Europe orientale, l'Albanie et la Bulgarie, qui nourrissaient toutes deux des griefs nationalistes contre leur voisine, furent promptes à rejoindre la meute, tandis que la Tchécoslovaquie (qui n'avait jamais répudié le procès Slansky) y prenait également une part active. La Pologne fut la dernière à participer à l'attaque, et ne le fit qu'avec une répugnance manifeste. Tout en menant une guerre de propagande contre le révisionnisme, les régimes communistes d'Europe orientale entreprirent, avec plus ou moins de retard et de fermeté, de réprimer ou d'extirper les influences révisionnistes par des «mesures administratives »internes. Bien entendu, c'est en Hongrie qu'elles furent prises le plus rapidement et appliquées avec le plus de rigueur : elles atteignirent leur point culminant en juin 1958 avec le «procès» et l'exécution d'lmre Nagy et d'autres dirigeants de la révolte d'octobre 1956. (Il est à noter qu'on tenta à ce procès d'assimiler le révisionnisme à la « trahison contre-révolutionnaire ».) Parmi les autres satellites, la Pologne fut de nouveau la dernière et la plus réticente à suivre l'exemple ; mais là aussi les révisionnistes furent peu à peu réduits au silence par une censure plus [sévère, l'épuration des rédactions de journaux et autres restrictions à la liberté intellectuelle, le tout rognant sur les gains de !'Octobre polonais. Désenchantement et évolution MAISplus importante encore que ces pressions extérieures a été l'évolution idéologique des révisionnistes eux-mêmes, surtout leur convie.. tion croissante que toute tentative de réformer le communisme en restant à l'intérieur du cadre marxiste-léniniste était vouée à l'échec. Nombre d'ex-révisionnistes polonais ont exprimé l'avis qu'il n'existe pas à l'heure actuelle de «troisième voie » possible entre la nouvelle orthodoxie de Khrouchtchev et une forme de socialisme non communiste, démocratique. Ils ont reconnu avoir renoncé eux-mê,;nes aux vues révisionnistes et être devenus consciemment des socialistes démocrates de fait. Cette évolution dans la pensée des révisionnistes d'Europe orientale est un phénomène complexe mais non sans précédent. Il rappelle presque exactement la courbe politique et idéologique de Milovan Djilas qui avait rejeté la possibilité pratique d'une position _ moyenne titiste (ou gomulkiste) entre le léninisme et le socialisme démocratique et s'était trouvé inévitablement attiré vers ce dernier. Il existe toutefois une différence notable entre le cas de Djilas et celui des révisionnistes de l'Europe orientale d'aujourd'hui. Djilas rompit avec le «commu-
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