156 En particulier, après 1~ nouvelle rupture. des relations du bloc avec Tito, on chercha à peindre le « révisionnisme yougoslave » comme l'âme de toute la conspiration révisionniste contre l'orthodoxie marxiste-léniniste. Tel qu'il s'était dégagé en Europe de l'Est apr~s le «dégel» qui suivit la mort de Staline, le révisionnisme était essentiellement un effort des intellectuels du Parti pour corriger certains maux latents de la société communiste en soumettant le dogme à une nouvelle appréciation et à une nouvelle interprétation critique. Il cherchait à revivifier le marxisme-léninisme en lui rendant quelquesunes de ses qualités primitives, notamment son accent sur les valeurs humaines, le véritable internationalisme et le bien-être. Le révisionnisme dut son impulsion première à la désillusion croissante - surtout parmi les intellectuels les plus jeunes, dont beaucoup avaient été des partisans du stalinisme - devant les conséquences pratiques du règne de Staline : suppression complète des libertés individuelles et de la liberté d'expression culturelle, souffrance économique générale et terreur policière. Les premières manifestations de 1955 se. limitèrent dans une large mesure aux protestations contre les directives rigides du Parti enmatière culturelle ; mais après la révélation des crimes de Staline par Khrouchtchev au XXe Congrès, la révolte s'étendit rapidement aux domaines de la politique, de l'économie et de l'idéologie du Parti. Refusant de se contenter de l'explication des Soviétiques qui mettaient tout sur le compte du « culte de la personnalité », les révisionnistes voyaient la cause profonde des méfaits du tyran dans les défauts inhérents au système communiste lui-même, ce qui les amenait à mettre en question certains principes fondamentaux du dogme stalinien, mais aussi léniniste et même marxiste. Bien qu'elle ait pris diverses nuances d'opinion, la pensée révisionniste sur les principaux points en cause peut se résumer de la sorte : 1. En ce qui concerne la position de l'Union soviétique et du P.C. de l'URSS à l'égard des autres Etats et partis communistes, les révisionnistes rejetaient généralement l'interprétation stalinienne de l' << internationalisme prolétarien » qui exigeait une subordination complète des régimes satellites au « rôle dirigeant de l'Union soviétique ». Ils affirmaient au contraire que les relations à l'intérieur du bloc devaient être fondées sur une véritable égalité. C'est à ce principe que l'Union soviétique s'opposait le plus inflexible-• ment et c'est lui qui - dans la forme extrême qu'il prit en Hongrie - aboutit à l'intervention armée. Le révisionnisme tenait aussi pour le principe des « voies diverses qui mènent au socialisme» : celui-ci avait déjà été reconnu officiellement par les Soviétiques en juin 1955 dans la déclaration Y commune]Khrouchtchev-Tito, puis de nouveau dans le rapport officiel de Khrouchtchev au xxe Congrès. Biblioteca Gino Bianco L'EXPJ1RIENCE COMMUNISTE 2. En matière politique, les révisionnistes étaient fermement opposés à l'étroite conception léniniste-stalinienne de la << dictature du prolétariat» qui, selon eux, signifiait en réalité la dictature du Parti et menait inévitablement au « bureaucratisme » et au «capitalisme d'État ». Ils préconisaient donc l'établissement d'un double système de barrières institutionnelles pour prévenir une concentration excessive du pouvoir : d'une part, une véritable démocratisation de la structure interne du Parti et des règles disciplinaires; de l'autre, des freins extérieurs au pouvoir du Parti sous la forme d'un Parlement plus indépendant et doté de plus d'autorité. D'autres, plus radicaux, prônaient l'institution d'un système à partis multiples limité qui permettrait l'existence d'autres formations souscrivant pour la plupart aux principes socialistes. Certains extrémistes enfin avaient une conception franchement non léniniste du rôle du Parti, considéré avant tout comme éducateur politique des masses. ~ 3. Dans le domaine économique, le révisionnisme mettait l'accent sur la nécessité de renoncer à l'application rigide de certaines politiques qui, sous Staline, avaient force de doctrine économique : collectivisation forcée de l'agriculture, développement prioritaire de l'industrie lourde aux dépens des biens de consommation, centralisation extrême de l'autorité économique et pratiques d'exploitation brutale de la main-d'œuvre. Les révisionnistes proposaient une collectivisation par paliers, une priorité plus grande à la production et à la distribution des biens de consommation, la décentralisation économique, des programmes d'investissement réduits, le rétablissement du marché libre dans certains secteurs de l'économie, l'abaissement des normes de production imposées aux ouvriers, le partage des bénéfices et - pardessus tout - une plus grande « démocratie économique » au moyen de conseils ouvriers qui seraient des organes de self-government à l'usine. Certains allaient jusqu'à mettre en question les théories marxistes fondamentales concernant· l'évolution du capitalisme (paupérisation de la classe ouvrière, etc.) et la nécessité de le renverser par une révolution prolétarienne. Faisant valoir que la technologie et l'organisation industrielle modernes tendent à transformer les rapports de production, ils prévoyaient une émancipation progressive de la classe ouvrière sous le capitalisme et un rapprochement graduel entre les systèmes capitaliste et socialiste, ce qui rendrait inutile une révolution violente. 4. Enfin, dans le domaine intellectuel et culturel, le révisionnisme était pour la levée complète de toutes les restrictions à la liberté de pensée et d'expression, y compris celle de critiquer et de reconsidérer l'idéologie du Parti à la lumière de l'histoire objective. Il préconisait aussi un retour à l'« humanisme» marxiste et l'adhésion à des principes moraux absolus pour prévenir le retour des abus de pouvoir et des crimes de l'époque stalinienne.
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