Le Contrat Social - anno IV - n. 3 - maggio 1960

R. PIPES des pourparlers de paix. Mais pour empêcher de nouveaux éléments de faire bénéficier d'autres gardes du corps, agents, détachements de troupes, de subsides et de butin. Il s'agit du plus pur militarisme qui existe de nos jours, où que ce soit. Tout le reste est, objectivement, une escroquerie, quels que soient les buts que prétend viser, ou que vise vraiment, la direction du mouvement 16 • Dans sa conférence de juiJlet, Weber précisera ses vues : il ne croit pas à la stabilité du régime bolchévique et se méfie de ses intentions. Son thème principal est le socialisme. Weber définit le socialisme marxiste comme une protestation contre l'aliénation du travailleur industriel séparé des moyens de production - aliénation qu'il considère pour sa part comme inévitable. Le prolétariat est-il c8pable de s'assurer la direction de l'État et de r économie, de tenir les véritables leviers de commande ? Weber demeure sceptique : Certes, il est possible qu'au cours d'une guerre, avec les prodigieux bouleversements qu'elle entraîne, et comme conséquence de la condition ouvrière, notamment de la faim, la masse du prolétariat (...), sous la conduite d'intellectuels, prenne le pouvoir ... Mais je ne vois ni parmi les travailleurs syndiqués, ni chez les intellectuels syndicalistes, les hommes capables de diriger la production en temps de paix. La grande expérience e3t, à présent la Russie 17 • Des nouvelles récentes de Russie, poursuit \Veber, indiquent que le salaire aux pièces au~ait été r~tabli, que les anciens chefs d'entreprise, bureaucr1tes et officiers de carrière auraient retrouvé leurs emplois. « Mais on ne saurait assurer ainsi le fonctionnement permanent de l'appareil d'État et de l'économie, et jusqu'à présent l'expérience n'est pas très_encourage~t~18.» Weber se déclare même surpris que le regime bolchévique ait survécu aussi longtemps ; cela est dû, estime-t-il, au fait qu'il s'a~it moins .~'~e dictature socialiste que d'une « dictature militaire de caporaux». Trotski, conclut Weber, a bien tort de s'attendre à la décomposition de l'armée allemande sous le coup de la propagande communiste. Cette armée ne se compose-t-elle pas, pour les deux tiers,. de paysans. et 1'une p~oportion notable de petits bourgeois, c est-à-dire de classes qui ne seraient que trop heureuses d'aider à mater le prolétariat indust~iel ? ~l n~en faut pas moins se garder de sous-e~!~er 1 ~tt1:rancepurement affective qu'exerce 1 idee socialiste. Weber approuve donc les négociatio~s ~n cours ~ _BrestLitovsk, qui permettent de devoder l.esventables. buts des bolchéviks : « Avec ceux qui combattent pour une foi, on ne peut pas faire la -paix - on peut seulement les mettre hors. d'éta~ de . . 19 nuire ... » 16. GPS, pp. 323-24. 17. Der Sozialismus, pp. 9-30. 18. Ibid., p. 30. , .. 19. Ibid., p. 31. Biblioteca Gino Bianco - 151 L'effondrement de l'Allemagne en novembre 1918 ne surprendra pas Weber : c'était le fruit d'années de rodomontades de traîneurs de sabre et d'aventurisme irresponsable, contre les9uels il n'a cessé de mettre en garde ses compatnotes. Il se console, cependant, à la pensée que peutêtre les sacrifices de l'Allemagne pendant la guerre n'auront pas tous été vains : Le respect de la vérité que nous nous imposons nous force naturellement à admettre que le rôle politique mondial de l'Allemagne est terminé : la domination mondiale des Anglo-Saxons - « Ah, c'est nous qui l'avons faite», comme disait Thiers à Bismarck à propos de notre unité nationale. C'est incontest~blem~nt très désagréable, mais quelque chose de bien pire - le knout russe - a été détourné par nous. C'est là notre gloire. L'hégémonie mondiale américaine était aussi inévitable que l'était dans l'antiquité celle de Rome après les guerres puniques. Il faut espérer que cela restera ainsi, qu'il n'y aura pas de partage avec la Russie. C'est cela que je considère comme le but de notre future politique mondiale, car le danger russe n'est écarté que pour l'heure, non à jamais 20 • A LA LUMIÈRE d'une rétrospective portant sur près d'un demi-siècle d'histoire, comment les analyses et les appréciations d'un penseur généralement reconnu comme le plus grand des sociologues modernes tiennent-el:es devant l'épreuve des faits ? Certes, Weber s'est souvent défendu de vouloir prédire. Au début de son essai sur la Constitution russe, il écrivait : « L'" Histoire" ne peut servir de préambule à la connaissance du présent presque immédiat, parce que nous ignorons ce qui va durer. Le problème est de relever ce qui apparaît, au moment même, comme caractéristique et essentiel.» Mais, en dépit de ses dénégations, Weber a en fait prédit bien des choses ; ses trois ouvrages principaux sur la Russie eurent même essentiellement pour objet de tracer les contours probables de l'avenir. Il est donc permis de confronter ses pronostics avec les faits tels que nous les connaissons aujourd'hui, non pas tant pour juger de la clairvoyance de Weber que pour arriver à comprendre la force et les points faibles de sa pensée politique. Weber aborde les problèmes de Russie à partir de prémisses tirées de la conviction que la civilisation occidentale s'oriente inexorablement vers une rationalisation toujours croissante de chaque aspect de l'existence organisée, ainsi que de l'idée que ce processus conduit, dans le domaine politique, à la transformation de l'État en « entreprise», et, parallèlement, à la transmission de tout le pouvoir réel aux fonctionnaires. La thèse s'appuie sur l'évolution de l'Allemagne moderne, 20. Marianne Weber : Max Weber, p. 648.

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