Le Contrat Social - anno IV - n. 3 - maggio 1960

146 en bon ordre chez nous, mais seulement que le mythe révolutionnaire n'a plus de sens et qu'il serait temps de s'en apercevoir. Mais si les conflits et les contradictions perdent beaucoup de leur virulence dans les cadres anciens où nous les situons encore par tradition ou paresse d'esprit, ils renaissent, plus formidables, selon d'autres coordonnées géographiques. Presque toutes nos idées politiques, y compris nos idées sur le socialisme, dérivent, d'une part, de l'histoire romaine classique, de l'autre, des événements survenus depuis deux siècles en d'étroits secteurs de la planète : Angleterre, France, Allemagne, États-Unis. C'est en ces limites et pour ainsi dire selon la verticale sociale que nous avons pris l'habitude d'apprécier les rapports entre les classes et les partis. Mais voici qu'en quelques décennies l'horizon s'est infiniment élargi, que les criantes inégalités dont le spectacle alimentait la fièvre révolutionnaire et le futurisme socialiste se présentent maintenant dans une perspective horizontale que rompent de brutales dénivellations. Le jour où Mussolini claironna que les nations prolétaires allaient se dresser contre les nantis, contre les démocraties capitalistes, il était bon prophète. Parlant ainsi, nous nous acheminons, on le devine, vers ce que la langue de la diplomatie, désormais consacrée, désigne d'un touchant euphémisme, vers le problème de l'aide aux pays sous-développés. Il le faut bien, s'il est vrai qu'il soit appelé, comme nous le croyons, à dominer et englober tous les autres dans les années qui viennent ; encore convient-il de lui donner sa pleine signification. La révolution éclata en 1917 non pas dans l'un des berceaux que, selon la théorie, le capitalisme industriel aurait dû lui préparer, mais dans un pays ruiné par une guerre désastreuse, coupé de ses communications maritimes, ramené à la famine et à la primitivité ; par rapport à lui, l'Occident et même l'Allemagne vaincue maintenaient assez haut leur niveau de vie. La politique des bolchéviks s'explique sans doute par le fanatisme idéologique, non moins par le fait que dans une ville assiégée on recourt inévitablement au communisme de guerre. Il en resta l'obsession, majeure, la volonté de rattraper à tout prix les Etats capitalistes pour exorciser à la fois la misère et la crainte de la sujétion. Staline profita comme on sait de la conjoncture et la seconde guerre mondiale, à la fois très coûteuse et très glorieuse, en prolongea les conséquences. A supposer qu'elles se fussent amorties, l'entrée en lice de la Chine communiste, émergeant elle aussi de quarante années de guerre sur un territoire ravagé, ravivait avec plus d'acuité les convoitises propres aux peuples pauvres et longtemps piétinés qui rêvent moins encore d'abondance que de puissance technique et militaire. Et voici que la même mégalomanie a gagné l'Asie méridionale et le Moyen-Orient, s'étend à l'Afrique, contaminera demain l'Amérique latine. Si les peuples entraînés dans ce Biblioteca Gino Bianco __ .._ ___ LE CONTRAT SOCIAL mouvement général devaient nécessairement passer par les mêmes étapes, alors ce serait la fin de notre civilisation, le triomphe mondial du communisme. Nul ne peut ignorer que tel est l'enjeu réel de la « compétition pacifique» ou prétendue telle dont à Moscou l'on ne fait pas mystère. Il n'y a fort heureusement aucune raison de s'abandonner à un fatalisme simpliste et crédule qui supposerait que la marche de l'histoire soit régie par des automatismes que commanderait à son tour la seule différence entre la minorité riche et la majorité famélique. S'il est prescrit pour notre salut de suivre avec une extrême attention les progrès de la pénétration communiste dans les vastes zones oscillantes où se transporte le combat, nous pouvons aussi dénombrer les facteurs de résistance et surtout opposer l'action à l'action. En bref et pour parler clair, cela revient à dire que nous devons substituer à l'ancien pacte colonial partout aboli un nouveau système de rapports contractuels qui, tout en sauvegardant l'influence des métropoles atlantiques, assure aux nations prolétaires une équitable répartition des bénéfices. Mais pour édifier ou revigorer ces constructions complexes qui, par la force des choses, combineront avec la théorique égalité politique et une indépendance nominale des relations de vassal à suzerain convenablement négociées et sagement acceptées, encore faut-il savoir comment traiter les nouveaux membres de la communauté des nations. Pour qui refuse de se payer de mots, la démocratie libérale et parlementaire y est dans la plupart des cas un leurre ou une fiction ; comme il s'agit d'éviter aussi le glissement vers le communisme, il ne reste qu'une solution : favoriser la naissance dans chacun des jeunes États afroasiatiques d'un socialisme national et dirigiste, modéré pourtant et qui sache conserver le respect de l'humanisme, de la culture et de la religion. Ce dernier point est très important, car on voit bien qu'en Afrique et dans les pays arabes le christianisme et l'islam peuvent résister efficacement à l'idéologie pseudo-marxiste et même la refouler. Telle serait la tâche essentielle d'un socialisme humaniste, compris en un sens très large et auquel pourraient s'associer tous les Occidentaux de bonne volonté. On ne peut se borner à fournir aux peuples déshérités des vivres, des capitaux et des machines, il faut aussi les attirer sans contrainte vers des formes de culture et de civilisation q,ue nous n'avons aucune raison de renier. Si l'on comprend d'autre part qu'une entreprise aussi gigantesque ne saurait manquer, dans la mesure même où elle se développera, de retentir sur nos -institutions et même notre mentalité, nous serons au moins convaincus qu'il y a là belle matière à réflexion prolongée. Par rapport à ces immenses perspectives, à ces pressantes intimations, que sont nos misérables chicanes et nos routines politiques ? LÉON EMERY.

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