Le Contrat Social - anno IV - n. 3 - maggio 1960

)J.4 vertus démocratiques et des libertés qu'elles cautionnent, mirent au rancart la fameuse résolution de 1904 qui leur interdisait de collaborer avec les partis bourgeois. Ainsi consommé, le schisme devait résister à toutes les propositions de front unique, d'alliance ou de fusion, à toutes les collusions momentanées ; il paraît inscrit dans la nature des choses et d'autant plus que si le communisme semble apte à séduire les paysans arriérés d'Asie et d'Afrique, l'expérience a prouvé qu'il mord bien plus malaisément sur les masses ouvrières des nations les plus industrialisées. Pour elles, le socialisme a d'ailleurs pris un cours nouveau, son programme ayant été à moitié réalisé, mais par la voie légale et dans un climat démocratique sans qu'on ait eu le sentiment que s'accomplissait une révolution. Les nationalisations, les assurances sociales, les conseils d'entreprise, le contrôle de l'embauchage et du débauchage, peuvent susciter des critiques quant à leur fonctionnement, mais ne sont pas sérieusement remis en question. On voit bien d'autre part que le capitalisme se modifie en ses structures, que les nouvelles méthodes d'autofinancement restreignent de plus en plus le pouvoir des banques sur l'économie. Le schéma classique de la révolution à faire devient de plus en plus flou, et l'on en est réduit à parler assez vaguement de l'élévation graduelle des niveaux de vie. Les travailleurs ont accueilli sans grand enthousiasme et comme si elles n'apportaient que peu de chose des réformes qui, trente ou quarante ans plus tôt, semblaient exaltantes sous forme de revendications fréquemment jugées chimériques; en dépit de cette tiédeur, on ne peut douter que de nouvelles habitudes aient été contractées, ni qu'elles agissent obscurément sur la mentalité populaire. D'où nous passons tout naturellement à la troisième rubrique. Au socialisme traditionnel il fallait un prolétariat et nous n'avons pas à rappeler longuement que, bien avant Marx, le terme est employé par Saint-Simon; il fut d'ailleurs généralement admis que le prolétariat par excellence était la classe ouvrière des grandes villes. Mais tout cela, qui avait valeur d'évidence et règne encore dans le langage courant, prend place désormais dans la perspective de l'histoire. Aux États-Unis les deux tiers au moins des ouvriers sont des propriétaires, ce qui signifie que le prolétariat y est une classe en voie d' extinction, comme les Peaux-Rouges. La même transformation est en cours dans toute l'Europe du Nord-Ouest et l'on pressent que la technique et l'automation en doivent précipiter l'achèvement. En somme, c'est dans les pays communistes que la proportion des prolétaires est la plus considérable, encore qu'on y voie se développer cette nouvelle classe, cette classe des parvenus décrite par Djilas et dont il n'est pas impossible qu'un Khrouchtchev soit l'expression et l'image. Cela étant, toute la dialectique classique du socialisme est manifestement à reprendre, surtout en ce Biblioteca Gino Bianco LE CONTRAL SOCIAL qui concerne la lutte des classes et l'avènement du prolétariat à la pleine capacité politique; il est clair que des modifications portant sur des éléments de base ne sont pas d'anodines retouches. Allons plus loin. Marx a conditionné la victoire du socialisme par l'adhésion à une anthropologie complète dont résultait la nécessité d'exorciser les puissances mauvaises, la religion et la patrie, responsables des plus funestes aliénations. Or l'immense développement contemporain du christianisme social est une réponse péremptoire à tous ceux qui considèrent qu'un bon socialiste doit commencer par être un athée. Même en Russie, même en Chine, on déclare tolérer la religion pourvu qu'elle se soumette à la raison d'État, ce qui revient à établir un concordat dont le pouvoir politique use à son gré, encore qu'il rende par là un hommage indirect aux Églises .. dont il reconnaît que le peuple n'est pas entièrement détaché. Quant au nationalisme, il s'étale partout, il est plus vivant chez les humbles et les pauvres que chez les intellectuels et les bourgeois, plus virulent dans le monde communiste que dans les démocraties libérales. Sous le pavillon de l'anti-impérialisme, la propagande communiste favorise l'éclosion sur tous les continents des nationalismes indigènes et, par un remarquable choc en retour, c'est ensuite le nationalisme qui fait barrage devant le communisme international. Au reste n'a-t-on pas vu à l'O.N.U. le délégué russe défendre avec acharnement le principe de la souveraineté nationale ? Après cela, on peut tirer l'échelle. II QUE RESTE-T-IL du socialisme théorique, de celui qu'on définit dans l'histoire des doctrines ? Apparemment bien peu de chose et André Philip, homme de bonne foi autant que de bon vouloir, le reconnaît implicitement par une déclaration faite pour épouvanter les tenants d'une orthodoxie ruineuse. Ne va-t-il pas en effet jusqu'à dire que le socialisme n'est pas une doctrine, tnais une méthode ? Pour qui se rallie à cette assertion, le socialisme n'est donc rien de plus désormais qu'une œuvre de bonne organis~tion sociale conforme à la raison et à l' expérience. Dès lors il va de soi qu'un banquier, un chef d'entreprise, un officier, un évêque ont tout autant de droits qu'un ouvrier à se proclamer socialistes, que l'appartenance à une classe déterminée n'a plus aucune signification, que l'existence même d'un parti socialiste est anachronique puisqu'un parti affiche une idéologie tandis que les bonnes méthodes s'élaborent au sein des comités techniques et des associations professionnelles. Conséquent avec lui-même, l'auteur dont nous invoquons le témoignage se garde de proposer une seule mesure qu'on puisse dire spéci- ,fiquement socialiste ; ses opinions relèvent d'un empirisme qu'on peut estimer louable et judicieux,

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