Le Contrat Social - anno IV - n. 2 - marzo 1960

QUELQUES LIVRES raison l'incapacité des partis, dépourvus de cohérence intérieure, à adopter une politique ferme et suivie. On regrette qu'il ne fasse alors aucune allusion au rôle désagrégeant du parti communiste dont l'existence, en France comme en Italie, a eu pour effet de condamner les partis démocratiques à des alliances stériles avec la droite et même l'extrême droite. Néanmoins, dans les dernières pages, A. Philip revient sur la notion de parti et en profite pour condamner les partis ouvriers existants, le P.C., « conservateur démagogique», et la S.F.I.O., << une association de bienfaisance pour la protection générale des incapables » (p. 222 ). Cette condamnation globale, si justifiée soit-elle dans les détails, a cependant le tort de ne pas mettre en évidence la différence de nature entre un parti quelconque, avec ses incapacités et ses prétentions, et le P.C., dont Philip n'ignore pas qu'il est avant tout un détachement de l'Armée rouge sur le sol français. A cette réserve près, A; Philip a raison quand il affirme que les Français se révoltent non contre un parti déterminé qui se serait disqualifié, mais contre la notion même de parti. II écarte d'avance la création d'une secte révolutionnaire « rébarbative et irréaliste »; il doit donc, s'il veut être logique, écarter la possibilité d'une fusion P.S.A.- U.G.S. qui, au nom d'une pseudo-renaissance du socialisme traditionnel, aboutirait à créer un satellite plus ou moins complaisant du parti communiste. A ses yeux, le parti traditionnel, porteur d'une philosophie de l'histoire et qui prétend à une vérité dogmatique et absolue, est incompatible avec l'esprit et la pratique de la liberté 1 ; en cas de victoire, il devient le support d'un régime totalitaire. La première moitié du· livre est une analyse critique de la Constitution et du fonctionnement de la ve République. A. Philip fait une critique nuancée de la politique économique, selon lui trop marquée d'esprit libéral, efficace à court terme mais dangereuse à longue échéance vis-àvis des salariés et des paysans frustrés dans leur effort de modernisation, incompatible enfin avec les lourds engagements pris en Algérie et en Afrique noire. S'il est hostile à la réforme scolaire, l'auteur ne s'en tient pas pour autant à l'idéal d'un enseignement d'État ; il préconise un service autonome de l'Enseignement qui, sous certaines conditions d'utilité, pourrait reconnaître des enseignements privés. Non moins hostile à l'attitude du général de Gaulle à l'égard de l'OTAN et de l'Europe, il le soutient dans son effort en Afrique dans l'espoir qu'il aboutira pour l'Algérie et pour le continent noir à une confédération de nations indépendantes. Mais au-delà de ces critiques, la ve République ne lui apparaît que sous la forme d'un « expédient provisoire », né de la démoralisation ou de l'indif- · 1. Andr~ Philip rejoint ici la pens~c de Simone Weil. Biblioteca Gino Bianco 125 férence populaire et dénué de sens hors de la personnalité de son président plébiscité. La Constitution, n'ayant pas été discutée par les élus du peuple, n'est pas légitime ; elle est contradictoire dans ses dispositions portant sur la métropole et celles qui concernent l'Afrique; elle est dangereuse car elle prête à des interprétations opposées; et pour finir anarchique, avec un gouvernement déchiré, sans appui populaire ou même parlementaire suffisant. -Les récents événements d'Alger, en faisant éclater certaines équivoques du régime, ont justifié en partie l'analyse antérieure d'A. Philip ; ils ont montré la nature empirique et opportuniste des décisions gouvernementales ou présidentielles. Dans la seconde partie, l'auteur esquisse la définition d'un nouveau socialisme. On ne peut certes lui reprocher de présenter comme un vêtement neuf de vieux dogmes ravaudés. « Le socialisme, écrit-il, n'est pas une idéologie ni même une doctrine particulière » (p. 195). Il n'est ni un idéal à réaliser, ni un déterminisme réaliste. « Il n'y a pas de valeurs socialistes propres, de philosophie socialiste de la vie ; le socialisme est une technique de réalisation, dans un milieu déterminé, des valeurs communes qui caractérisent notre civilisation occidentale» (p. 197, souligné par nous). Philip rejette le « royaume de Dieu sur terre » et la « société unifiée homogène sans contradiction» (souligné par l'auteur). Il rejette donc le messianisme et les harmonies utopiques ; il admet, il préconise même les tensions et anta-- gonismes inévitables qui sont la condition et la conséquence de la liberté. Il rejoint par là l'idée kantienne de !'insociabilité, l'idée proudhonienne de l'ordre et l'idée bernsteinienne selon laquelle « le but n'est rien et le mouvement est tout». Il s'agit de réaliser une « société responsable, gérée démocratiquement par des hommes responsables » (p. 199, souligné par nous). Tâche presque surhumaine dans un pays tel que la France, où l'irresponsabilité s'enrobe d'un désir de vie paisible et se déguise en un respect affiché de la liberté d'autrui. C'est pourquoi l'économie socialiste d'A. Philip ne semble pas très éloignée d'un néo-libéralisme keynésien, dans une structure planificatrice tolérant des initiatives privées, décentralisée au niveau des régions économiques, avec participation ouvrière ou syndicale aux différents échelons, depuis l'entreprise jusqu'à la Commission du Plan 2 • Il semble que chaque proposition d'A. Philip doive susciter plus d'interrogations que d'adhésions·: le problème fondamental de la sociologie est en effet de combiner l'ordre et la liberté sans détruire l'un des termes. Le chapitre le plus contestable est celui consacré aux valeurs communes de l'Occident que l'auteur confond avec les valeurs démocratiques et auxquelles il trouve une source 2. Un chapitre intéressant, mais sans rapport imm&tiat avec le sujet, a trait au rôle que Ica syndicats devront jouer dans les rapports entre salaires et productivité.

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