Le Contrat Social - anno IV - n. 2 - marzo 1960

124 la « dynamique des groupes » sont autant les produits d'une systématisation intellectuelle de la part des savants que d'habitudes grégaires de la part des participants. Cela montre que les manies dénoncées plongent leurs racines dans une structure et un comportement objectifs de la société industrielle. Whyte nous explique que l'appartenance au groupe est l'ultime besoin de l'individu et qu'à ses yeux la« science» est le moyen de parvenir à cette appartenance. Cette « science » est justement celle dont Sorokine critique les méthodes, qu'il juge néfastes dans leurs effets sociaux et inefficaces pour l'avancement de la connaissance. Exemple probant, peut-être exceptionnel, d'une étroite corrélation entre un type de société et son orientation intellectuelle... Il est alors permis de penser que toute modification de l'une entraînerait à plus ou moins long terme celle de l'autre. Il existe une tendance à construire une sociologie, baptisée physique sociale, non à la manière d'Auguste Comte mais à celle des xvue et xvrue siècles, au temps où la mécanique cartésienne ou newtonienne semblait le modèle de toutes les sciences présentes et à venir. Repoussant comme imprégné de << métaphysique » tout ensemble de concepts qui soit autre chose qu'une vulgaire systématisation de données empiriques ou statistiques, cette sociologie prétendue nouvelle et concrète ne trouve pour s'exprimer que le vocabulaire périmé de la vieille physique. Fourier et Saint-Simon croyaient compléter Newton; mais ils avaient l'excuse d'écrire il y a cent cinquante ans et ils étaient en outre servis par une puissante imagination créatrice dont la sociologie actuelle semble généralement dépourvue et qu'elle condamnerait d'ailleurs au nom de la «science». Cette crainte des idées et cette prudence affectée ne l'empêchent pas d'ailleurs de généraliser abusivement ses observations et «expériences », faites sur des groupes restreints, à des sociétés plus vastes, comme si l'extrapolation était une méthode toujours correcte pour passer de la micro à la macrosociologie. Il semble d'ailleurs que malgré ses conceptions gestaltistes les recherches d'un Kurt Lewin ne présentent d'intérêt que pour des groupes particuliers (enfants, ménagères, etc.) ; sans parler d'une symbolique mathématique parfaitement inutile. Bien que l'auteur témoigne de la sympathie pour la sociométrie de Moreno, il n'en fait pas moins une critique serrée de sa notion d' «atome social » dont le schématisme faussement rigide limite selon lui les possibilités descriptives de la sociométrie. Quant à la plupart des promoteurs de la nouvelle physique sociale, un des griefs, justifié, de Sorokine, est leur ignorance de la notion de temps. Leurs descriptions de comportements se situent hors du temps, comme si la succession des événements historiques ne les concernait pas. Même si l'on ne suit pas Sorokine dans toutes ses critiques, il faut lui donner raison quand il BibliotecaGino Bianco LE CONTRAT SOCIAL dénonce la nature étriquée de la sociologie empiriste. A la perception sensorielle et au raisonnement rationnel ou logico-mathématique par quoi s'opère la connaissance des phénomènes matériels et des cohérences sociales, il veut ajouter l'intuition analytique apte à saisir leurs significations psychologiques. Il est clair qu'ainsi une composante subjective s'ajoute aux deux premières, qui sont objectives ; elle implique une relation psychologique entre le sujet et l'objet, une participation de l'un à l'autre sans laquelle l'objet observé (classe, groupe, individu) reste étranger et inexpliqué à l'observateur. Ces trois façons d'aborder le monde psychosocial constituent pour Sorokine la sociologie tridimensionnelle et sont inséparables. Elles permettraient aux sociologues de déboucher sur une connaissance «intégrale » de la vérité. Nous doutons que ces moyens d'approche, si nécessaires soient-ils, puissent jamais nous faire accéder à cette voie royale, à laquelle tout homme aspire " dans sa quête de l'absolu. C'est que la sociologie est loin d'avoir trouvé un principe d'identité ou d'invariance analogue à ceux qui servent de fondements aux sciences de la nature ; elle baigne dans l'histoire par quoi les permanences se détruisent et se recréent en une succession perpétuelle; elle participe de ses aspects hautement improbables et même imprévisibles où s'élaborent de nouveaux comportements et se cristallisent de nouvelles structures. Toute sociologie est finalement datée et située lorsqu'elle veut devenir explicative; et la vérité qu'elle atteint est d'autant plus relative qu'elle exprime, parfois en termes abstraits, ce qu'un instant elle a cru saisir du destin des hommes. MICHEL CoLLINET. Politique et utopie ANDRÉ PHILIP : Pour un socialisme humaniste. Paris 1960, Plon, 234 pp. COMMEl'indique l'auteur, ce petit volume, bien qu'il fasse suite au Socialisme trahi publié en 1957, ·est d'une . facture toute différente. Il ne s'agit plus de critiquer un gouvernement à direction socialiste accusé de trahir l'idéal dont il se réclame, mais d'exposer ce que l'auteur entend par le terme de socialisme en théorie et en pratique. Rédigé volontairement en un style populaire et trop souvent imprécis, l'ouvrage vise à rallier les militants désorientés de l'ancienne gauche à une conception socialiste adaptée aux problèmes du monde moderne. .. , La ive République aurait pu prévenir sa chute en ·se réformant, estime André Philip. On se demande bien comment, quand lui-même décrit le Parlement comme « un club de professionnels, un corps oligarchique, séparé du pays, soumis à des rites particuliers » (p. 6). Il souligne avec

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