Le Contrat Social - anno IV - n. 2 - marzo 1960

122 Cela suffirait à dater le texte. Mais ce n'est pas tout : il y a le style, les préoccupations, qui sont ceux du temps où il rédigeait sa thèse et où il s'approchait du socialisme. Il y a les allusions au climat intellectuel : dans la dernière partie de la vie de Jaurès, le « christianisme flottant des dilettantes mystiques, des Renan et des Vogüé » (p. 50), avait passé de mode; il n'existait plus de « spiritualisme officiel » (p. 40), et certainement Jaurès n'eût pas alors parlé des « velléités démocratiques et libérales de l'Église aux abois » (p. 35), jugement qui s'explique beaucoup mieux à la veille du « ralliement ». Il y a enfin les allusions à des faits dont on peut retrouver aisément la date. Jaurès évoque une entrevue accordée « dernièrement » par M. Vaillant à Xavier de Ricard et rapportée par celui-ci dans le Radical (p. 49). M. Launay, dans Europe - où il a déjà publié une partie du texte en question, - avait invité ses lecteurs à fouiller dans le Radical entre 1900 et 1914. Il aurait pu au moins limiter leur recherche à 1911, date de la mort de X. de Ricard, et se demander si après 1900 Jaurès donnait encore du <<monsieur»à Vaillant. Il n'est d'ailleurs pas besoin de se livrer à cette ingrate besogne pour trouver des points de repère. « Comme M. Taine l'a montré dans une étude récente », lit-on page 33. Taine est mort en 1893. L'allusion faite aux funérailles de César de Paepe l'est en des termes qui indiquent qu'il est mort depuis peu. Or il mourut en 1890. C'est vers 1890-91 que la conversion du pasteur hollandais Domela Nieu\venhuis au matérialisme et au socialisme défraya la chronique, alors qu'il est tout à fait improbable qu'en 1904, lors du congrès d'Amsterdam, Jaurès ait rendu visite à Nieuwenhuis qui avait rompu avec les socialistes et opté pour l'anarchie depuis le congrès de Londres, lequel remonte à 1896. Et ce ne sont pas là les seuls indices. En vérité, le doute n'est pas possible : ce texte fut écrit vers l'année 1892. Assurément, M. Launay ne perdrait rien à attendre, avant de publier quoi que ce soit sur Jaurès, d'avoir étudié d'un peu plus près son auteur et l'époque où il vécut. CLAUDE HARMEL. Témoignages SuzANNE LABIN: La Condition humaine en Chine communiste. Paris 1959, La Table Ronde, 510 pp. IL N'EST PAS VRAI qu'on ne soit pas informé des affaires de Chine, comme le disent tant de politiciens vulgaires et de journalistes superficiels qui ne veulent pas se rendre à l'évidence et, en réalité, s'inclinent devant un pouvoir totalitaire Biblioteca· Gino Bianco LE CONTRAT SOCIAL instauré à Pékin par la force et maintenu dans l'Empire du Milieu par la violence. Outre la documentation officielle, qu'il faut savoir lire et interpréter comme on passe au crible les textes soviétiques, il y a de nombreux témoins oculaires dignes de foi, à savoir les Chinois de toutes conditions qui risquent leur vie pour passer la frontière. Certes, cela ne signifie pas qu'on sache tout ce qu'il faudrait savoir d'un régime soi-disant communiste dont les traits principaux sont copiés sur l'Union soviétique, mais qui les nuance nécessairement de ses particularités nationales. Comme à Moscou, ce sont les secrets du gouvernement de Mao qui sont bien gardés. Mais l'essentiel n'a rien de confidentiel, les méthodes de coercition et d'exploitation de l'homme par l'homme s'étalent au grand jour, et, comme en Allemagne, des millions de victimes ayant échappé aux massacres peuvent témoigner devant la conscience universelle (laquelle, d'ailleurs, n'existe pas, disait Anatole France). " Suzanne Labin a eu le grand mérite de recueillir et de transcrire à toutes fins nécessaires un certain nombre de ces témoignages irrécusables, malgré les obstacles et les difficultés sans nombre qui s'opposent à un tel travail. Elle est allée à Hong Kong, par où s'écoule en partie le flot des évadés du bagne communiste (une autre partie passe par Macao), pour interroger patiemment des Chinois de toutes sortes, divers par l'âge, la profession, l'extraction sociale. Elle a mené une enquête minutieuse et approfondie dont le bilan compose son livre poignant sur la condition humaine en Chine communiste. Il va sans dire que les proses de touristes complaisants aux laveurs de cerveaux, genre Edgar Faure ou Simone de Beauvoir, ou de cuistres empressés à complaire aux vivisecteurs sociaux, genre René Etiemble, ne pèsent rien à côté de ce livre de vérité, registre de souffrances indicibles qu'on a peine à croire, qu'on souffre à se remémorer, mais de véracité indiscutable. Aucun des « mérites » imaginaires attribués aux tourmenteurs du peuple chinois ne rachète les tourments infligés à ce malheureux peuple dont l'histoire est déjà pleine d'épreuves, de calamités naturelles. Il faut savoir gré à Suzanne Labin de s'être intéressée à la condition humaine, et non pas aux barrages, aux canaux, aux hauts fourneaux, etc., que chantent les apologistes cruels d'un progrès technique acquis au détriment du niveau moral, au prix de la dignité d'une société innombrable. Nul n'a le droit d'ergoter sur le détaiJ du dossier qu'elle a constitué, ni de réprouver la passion de justice qui l'inspire. Ce dossier, rédigé en style alerte et souvent sur le ton de la conversation Vivante, corrobore au surplus les récits de missionnaires, de prêtres et de pasteurs dont la sincérité n'est pas douteuse, ainsi que le Livre blanc sur le travail forcé dans la République populaire de Chine (2 vol.) publié en 1957 et 1958 par la Commission internationale contre le régime concentrationnaire. Ce sont là des documents

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