Le Contrat Social - anno IV - n. 2 - marzo 1960

QUELQUES LIVRES pondance échangée par les deux hommes 2 et présente les textes de Tolstoï, jusque-là difficiles à atteindre, qui ont le plus impressionné Gandhi, en particulier Le Royaume de Dieu est en nous, dont Gandhi affirmait qu'il était un des trois livres au monde ayant eu sur lui le plus d'influence 3 • Il ne faut certes pas oublier qu'on peut retrouver dans la tradition slave, chez les sages indiens, dans l'enseignement du Christ, le contenu de la philosophie de Tolstoï et de Gandhi, mais ces thèmes ont été marqués par eux d'un accent nouveau. Tous deux croient à une unité du monde religieux et moral, à l'existence d'un enseignement unique, commun aux grandes religions et aux grandes sagesses de l'humanité, et conforme à la raison : le message d'amour. A partir de là on retrouve les idées communes aux deux penseurs : fondement moral de toute religion et de toute philosophie; excellence de la nature humaine; retour nécessaire à l'innocence de l'âme, à une religion primitive, à la simplicité et à la pauvreté évangéliques; désir d'élever en l'homme ce qu'il y a de plus divin, c'est-à-dire l'amour; effort pour soulager les misères et réparer les injustices (d'où le caractère moral du travail et surtout du .:ravail manuel); illégitimité et vanité de toute violence; condamnation un peu facile de l'Occident (un peu facile parce que_ c'est en réalité la condamnation des abus de la civilisation industrielle au nom d'une sagesse qui, elle aussi, fait partie de la tradition occidentale). Cette philosophie commune, dont beaucoup :!'autres traits pourraient être dégagés, il semble que Gandhi, avec son âme moins tourmentée que celle de Tolstoï, l'ait infléchie vers une plus grande pureté et une plus grande exigence... Moins ambitieux dans ses vues et ses aspirations, moins abstrait que Tolstoï, il est plus politique, dans le sens où la politique est l'expression d'une conception du monde. La doctrine de la satyagrah(J,, de la vraie force, la force de l'âme que les violents ne posséderont jamais, s'est forgée dans l'expérience de la lutte contre le maître britannique. Tolstoï, dont le problème était surtout religieux, se contentait d'envoyer au gouvemem~nt desmissives, sans grande illusion sur leur efficacité. C'est sur ces points que les courtes introductions de M. Semenoff nuancent heureusement la pensée de M. Markovitch, lequel a tendance à ne souligner que la parenté des deux esprits. La satyagraha, doctrine de pureté intérieure et d'amour de l'Autre, se veut efficace. Le problème n'a pas été résolu par la victoire finale de Gandhi. C'est un honneur pour les Britanniques d'avoir été <' vaincus » par des armes pacifiques et nous avons connu des régimes où elles eussent paru 2. Publi~ jusqu'à pr~sent dans Paul Birukov : Tolstof und der Orient, Leipzig 1925. M. Semenoff ajoute une lettre in~dite qu'il traduit de l'anglais. 3. Ciû par Miller : Lmine et Gandhi. Biblioteca Gino Bianco 121 dérisoires. L'histoire de la libération de l'Inde n'est-elle pas une exception, le triomphe de la non-violence au xxe siècle ? DOMINIQUES. Jaurès livré aux profanes JEANJAURÈS: La Question religieuse et le soci'alisme. Présentation de M. Launay. Paris 1959, Les Éditions de Minuit, 62 pp. ON A RÉUNIici deux textes inédits trouvés ensemble dans les papiers de Charles Bellet, qu~ fut un ami de Jaurès : une lettre d'un autre amt de Jaurès - Enjalran- à Lévy-Bruhl, quand celuici préparait, pour l'Annuaire des anciens élèves de l'École normale, la notice devenue Jean Jaurès, esquisse biographique ; et un texte de Jaurès luimême qui, sans titre (la première page manque), porte sur le contenu religieux du socialisme, sur la « grande révolution religieuse» qu'apportera le socialisme (p. 31). Cette publication n'est pas dépourvue d'intérêt, car les articles que Jaurès consacra au mê~e sujet au début des années 1890 sont demeures enfouis dans la Dépêche de Toulouse ou d'autr_es journaux ; mais il eût été assurément plus utile d'aller les y chercher que de publier ce texte lacunaire. Cela aurait eu de surcroît l'avantage d'éviter au préfacier l'étalage d'une ignorance encyclopédique. Deux raisons l'incitent à localiser cet écrit « dans la dernière période de la vie de Jaurès » (p. 9), voire en 1914 (p. 11) : la mention du C~rist d'ivoire qui orne la chambre de J?omela ,~1eu: wenhuis permet de penser que Jaures est deJa alle à Amsterdam ; l'analyse qu'il fait de la théorie matérialiste et des critiques marxistes contre <c l'idéalisme pur de la Révolution française » est très originale par rapport à tous les textes de Jaurès que nous connaissons. Vraiment ce M. Launay, lui, ne connaît pas grand-chose. Le passage 9u'il p~éte~d. s~ original est typique du moment ou Jaures hes1ta1t encore à accepter le socialisme : Avant tout, ce sont les évolutions économiques, disent certains socialistes avec Marx et Lassalle, qui font l'histoire tout entière, et les mouvements des idées procèdent du mouvement des faits. Il ne faut donc pas s'enivrer d'idéal, mais constater le mouvement des choses, la tendance de l'évolution économique, afin de se servir de cette évolution même pour l'émancipation du travail. Oui, je comprends tout cela, et s'il fallait opter, c'est pour les ouvriers socialistes que j'opterais (p. 50). Il n'a donc pas opté encore. Et elle est aussi d'un homme qui se trouve seulement sur le point de s'engager, cette jolie phrase : cc Même si les socialistes éteignent un moment toutes les étoiles du ciel, je veux marcher avec euxtdans le chemin sombre qui mène à la justice » (p. 5 I ).

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