114 caractère provisoire. Par un effet de la cc dialectique», l'ordre nouveau avoisine une anarchie , . superieure. Par qui sera exercée cette nouvelle toutepuissance auprès de laquelle celle du cc patron de droit divin » devient minuscule et finit rnême par s'estomper dans les brumes de la préhistoire ? On répondra majestueusement que le nouveau dignitaire c'est l'Homme avec une majuscule, vainqueur de la nature et de sa propre nature, enfin réconcilié avec lui-même dans la société qui s'annonce sans classes. Mais les mauvais esprits diront qu'ils ne connaissent toujours que des hommes et voudront y regarder de plus près. Après tout, quelle différence entre l'Homme et le ci-devant patron ? Celui-ci était plusieurs, celui-là est Un, celui-ci était personne physique privée, celui-là est personne morale publique, celui-ci maître ou propriétaire de telles choses, celui-là maître de toutes choses. Il s'ajoute que l'un on pouvait encore le combattre, et l'autre on ne le peut, puisqu'il s'identifie à tous : se combattrait-on soi-même ? La question est de savoir si le nouveau régime peut vraiment abolir toutes les lois économiques du style des lois naturelles : la loi naturelle fonctionne comme un régulateur automatique tandis que la loi civile est un régulateur d'origine consciente. Il paraît difficile a priori de se passer entièrement de régulateurs automatiques : que l'on songe à la situation de celui qui, juché sur un bicycle, entreprendrait d'y maintenir son équilibre de façon pleinement consciente. Mais, considérant un exemple moins métaphorique, la chose peut être débattue avec plus de précision. C'est une loi de l'économie (marchande) que toute entreprise (privée) doit être rentable (profitable), sous peine de disparaître (sous les coups de la concurrence). Les termes placés entre parenthèses indiquent suffisamment les limites de validité de cette loi qui n'est vérifiable qu'en économie marchande. Mais, sous-jacente à cette loi de l'économie m.archande, n'y aurait-il pas une· loi plus générale valable aussi en économie naturelle et partant en toute économie? Tout système économique n'assurant pas la formation d'un surproduit pour l'ensemble des entreprises est condamné à s'effondrer. Cette loi est précisément celle que nous avons été amené à dégager en cherchant à élucider, dans l'esprit de Marx, le fondement ultime de la plus-value. Si quelque marxiste, en proie à l'ivress~ hégélienne, vient à la contester, nous lui demanderons d'y réfléchir lorsqu'il sera dégrisé, ce qui ne pourra manquer, mais peut-être sera-t-il trop tard ... Il ne s'ensuit pas le moins du monde que, procédant à cette constatation, nous soutenions la pérennité du capitalisme privé, l'impossibilité ou même l'inopportunité de la régulation consciente. Il doit suffire, pour marquer les limites de la direction consciente en même temps que pour fonder sa possibilité, de rappeler avec Bacon qu'on ne commande à la nature qu'en lui obéissant. BibliotecaGino Bianco DÉBATS ET RECHERCHES La négation d'une nature des choses économique sous prétexte que le fonctionnement de l'économie passe toujours par les rapports humains, est, au pire sens marxiste, de l'e<idéalisme» déliran~, péché de vieillesse d'Engels auquel on ne devrait pas accorder une telle importance, s'il n'avait effectivement préparé les lendemains que l'on sait. Cela nous amène à soulever la troisième question relative à la définition du socialisme. Bénéficence SUPREME ou NON, la puissance, pour avoir signification humaine, veut un but. On peut déduire, par voie d'antithèse, le but du socialisme, tel que l'ont conçu les fondateurs, de la mission qu'ils ont assignée au capitalisme privé: ce régime, qui a su accomplir d'autres merveilles que celles des pharaons, devait porter le développement des forces productives de l'humanité au plus haut point compatible avec sa nature marchande, et par suite avec le stimulant de la concurrence. Mais, pour ce faire, ses représentants ou classe dirigeante étaient contraints, par le jeu des lois qui s'imposaient à eux sans qu'ils en prissent conscience, de subordonner rigoureusement la consommation du peuple travailleur à l'impératif catégorique de l'accumulation. De là les crises de surproduction qui plongent périodiquement le système dans la misère au sein de l'abondance. La finalité consciente du socialisme substituée à la finalité aveugle du capitalisme devra renverser hardiment cette tendance en subordonnant l'accumulation à la consommation, en rendant l'économie à sa destination naturelle obnubilée par les brumes marchandes. Relativement à sa finalité, le socialisme conçu scientifiquement sera donc un régime d'économie distributive de l'abondance. Nous disons bien qu'il s'agit du socialisme conçu scientifiquement, c'est-à-dire, dans l'esprit de Marx et d'Engels, de l'liéritier de toute la richesse actuelle et potentielle accumulée par le capitalisme parvenu à son apogée. Il est en effet scientifiquement faux, selon les fondateurs, que la réalisation du but socialiste puisse être assurée n'importe où et n'importe quand ; ce qui laisse entendre clairement qu'il pourrait y avoir des manières non scientifiques de concevoir le socialisme et même des régimes, apparemment socialistes par la structure juridique de la propriété, qui ne mériteraient pas ce titre, la réalisation du but étant hors de propos : les auteurs du Manifeste ont déclaré explicitement que le pharaonisme était pour eux un régime inférieur à celui du capitalisme. Mais quelles garanties y aura-t-il, en dehors des bases matérielles offertes par l'héritage capitaliste, que Je socialisme ne sera pas détourné de son but? Le beau nom de «social-démocratie» s'est converti de nos jours en injure politique, mais il disait éloquemment ce qu'il avait à dire : le socialisme moderne ou scientifique ne se conçoit pas en dehors de la démocratie, il sera démocratique ou ne sera pas. Si l'on se contentait
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