112 Considérant l'intention de Marx plutôt que le résultat quant à son sens et à sa validité, nous avons maintenant à chercher ce que peut être la vision du socialisme, dans la perspective d'une dénonciation de l'anarchie capitaliste. Socialisme Nous RETIENDRONS de ce qui précède qu'il faut licencier le capitaliste privé, incapable d'assumer, pour le bien de la société productrice et consommatrice, sa fonction de dirigeant ; cette incapacité éclate devant son impuissance à juguler les crises de surproduction qui minent le système. Puisque nous ne sommes pas parvenus à identifier son rôle d'« exploiteur» (on connaît l'efficacité du vocable auprès des foules) à celui de parasite social, il serait commode de le réduire à celui de «gâcheur», qui sonne aussi désagréablement : le capitaliste privé est, selon Marx, le gâcheur des forces productives, après en avoir été le promoteur. Le régime qui succédera au capitalisme privé sera le socialisme, caractérisé par la socialisation des moyens de production et d'échange. Ce ne sera plus un régime marchand et, à la limite, il donnera naissance à une société communiste sans classes qui ne connaîtra plus que la distribution de la valeur d'usage(« A chacun selon ses_ besoins»), la valeur d'échange étant révolue. Ceux qui font reposer toute la construction du matérialisme sur la primauté du travail paraissent ignorer ce dernier point : l'hypothèse de la valeur-travail n'est utilisée par Marx que pour analyser le fonctionnement du capitalisme privé, selon un modèle d'ailleurs parfaitement théorique puisqu'il suppose le règne de la concurrence pure. Marx a signalé qu'il se distinguait de ses précurseurs «utopistes» notamment en ce qu'il ne donnait pas de «recettes pour faire bouillir les marmites de l'avenir»; ce qui devrait inciter à la prudence quand on est tenté de lui faire porter, par une voie un peu spirite, des jugements sur tels événements contemporains, y compris ceux qui se sont accomplis en son nom. Il demeure que le régime du socialisme scientifique, tel qu'il le concevait, peut être dégagé, au moins dans ses grandes lignes, par antithèse, à partir des analyses du capitalisme privé que nous transmet le grand œuvre inachevé. Nous savons que ce nouveau régime doit être socialisateur, consciemment régulateur et bénéfique, non seulement pour,.les classes laborieuses du ci-devant système, mais aussi pour l'humanité dans son ensemble. Les trois""pointssont à élucider. Socialisation LE SOCIALISME est la socialisation des moyens de production et d'échange (on peut la concevoir réalisée à divers degrés, des principaux aux plus petits moyens). Sous sa forme achevée, il ne doit laisser subsister d'autre forme de propriété individuelle ou privée que celle des objets de Biblioteca Gino Bianco DÉBATS ET RECHERCHES consommation. Mais comment entendre cette socialisation ? Est-ce un synonyme d'étatisation, de transfert de propriété de la puissance privée à la puissance publique, c'est-à-dire à l'Etat ? Là gît, on le sait, la première et la principale source de difficulté dans l'interprétation. La réponse orthodoxement marxiste (nous entendons par là tirée des textes des fondateurs) n'est pas dépourvue d'ambiguïté, en raison de la conception même de l'État et de son rôle dans la société. En effet, selon un premier aspect de la doctrine, l'État, né de la division de la société en classes, n'est qu'un instrument de coercition au service de la classe dirigeante. Il n'a pas comme tel de fonction principalement économique, et aucune classe proprement dite ne saurait se for..; mer au sein de l'appareil d'État : cet appareil, appelé souvent <<bureaucratie», et qui s'est constitué dans la société indépendamment de l'État, n'est qu'une délégation de la classe dirigeante. Il peut y avoir parasitisme bureaucratique du fait d'un appareil excessif, non pas exploitation proprement dite (le terme étant supposé défini) de la société par l'État. Avec l'importante addition de l'antagonisme des classes comme source de l'État, cette conception paraît être une généralisation de celle du libéralisme économique manchestérien : la fonction principale de l'État étant conçue comme policière et militaire plutôt qu'administrative et gestionnaire, il est admis qu'un homme bien né ne peut souhaiter que la voir amenuiser. Il a été fait de cette conception par les divers marxistes les usages les plus divers, tantôt pour démontrer avec Emile Vandervelde que socialisation ne doit pas être pris comme synonyme -d'étatisation, tantôt pour combattre le réformisme et la prétention de mettre la puissance de l'État au service de la classe ouvrière (Kautsky contre Bernstein, puis Lénine contre Kautsky), tantôt pour distinguer Staline de son régime (Trotski contre ceux de ses amis qui suggéraient que la bureaucratie postrévolutionnaire pourrait constituer une nouvelle classe dirigeante). En marge de la première conception, on en voit poindre une autre, plus large, chez les fondateurs : né de la lutte des classes et par nature instrument de la classe dirigeante, l'État serait aussi, en un sens, le èhargé d'affaires de la société tout entière. Il trouverait, dans certains équilibres momentanés du rapport de forces entre les classes antagonistes, la possibilité de s'assurer une relative indépendance en n'agissant pas de manière trop unilatérale en faveur de l'une ou de l'autre. Dès lors, on ne voit plus de limite précise aux attributions de l'État : pourquoi n'interviendrait-il pas non seulement en qualité d'arbitre, mais encore de gestionnaite et d'administrateur universel ? Sur ses vieux jours, Engels admet que si l'État est une superstructure, les superstructures ne sont pas dépourvues d'efficacité. Ce second aspect de la conception de l'État paraît être lè résidu, au sein de la doctrine orthodoxe, de la vision hégélienne combattue par Marx en son jeune
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