Le Contrat Social - anno IV - n. 2 - marzo 1960

A. PATRI Plus-value LA PLUS-VALUeEst la forme du surproduit dans l'économie marchande. Les esprits tendent à s'échauffer lorsqu'il est question d'elle, mais cette définition, un peu rebutante d'aspect, va nous permettre de l'aborder avec le sang-froid nécessaire. Il y a surproduit lorsque le travailleur produit au-delà de ce qui est indispensable à l'entretien de sa capacité de travail. Le surproduit est une catégorie de l'économie naturelle, non de l'économie marchande, la production considérée étant celle des valeurs d'usage, non des valeurs d'échange, distinction déjà posée au paragraphe précédent. Mais on voit aussi qu'il suffit de passer de l'économie naturelle à l'économie marchande, de la valeur d'usage à la valeur d'échange, pour obtenir la plus-value. Nul ne peut soutenir que dans l'économie marchande il ne subsiste plus trace de l'économie naturelle : on conçoit bien une valeur d'usage sans valeur d'échange, mais non la réciproque ; pour la même raison, on conçoit le surproduit en dehors de la plus-value, non l'inverse. Il faut donc partir du surproduit pour comprendre ce qu'est la plusvalue, sans nier bien entendu l'existence des problèmes propres à la plus-value en tant que catégorie de l'économie marchande. De ce point de vue, considérons, d'une manière abstraite, trois modèles d'économie correspondant à des niveaux de développement : a. La société produit moins qu'elle ne consomme; b. Elle produit autant; c. Elle produit davantage. Il est clair que le premier modèle est celui de Panurge qui, mangeant son blé en herbe, n'avait ensuite pour subsister que pillage ou écorniflage. On conviendra aisément qu'il définit un état de barbarie économique plus voisin du niveau de l'animalité que de celui de l'humanité pleinement développée. Mais tel qui se croit marxiste demandera avec une réelle ou feinte naïveté en quoi le modèle b est économiquement et socialement inférieur au modèle c lequel paraît introduire un déséquilibre d'une autre sorte que celui de a. A cela trois raisons : 1. - La société, pour se développer, ne réclame pas seulement des objets de consommation; mais aussi des moyens de production. En effet l'existence des moyens de production, en sus de ceux qui sont offerts J?ar la nature, est la condition nécessaire à l'élargissement de la production des objets de consommation. Les travailleurs de la catégorie A (producteurs d'objets de consommation) devront fournir un surproduit capable d'entretenir la force de travail de la catégorie B (producteurs de moyens de production). C'est ce que nous appellerons surproduit de première espèce. 2. - En effet, la société, dans les mêmes conditions, ne réclame pas seulement des produits au sens étroit d'objets matériellement présentés, Biblioteca Gino Bianco 1d9 mais aussi des services divers allant des transports et de la distribution à la défense, en passant par l'enseignement et tout ce qui a trait à l'administration. Il existera donc des travailleurs non producteurs (au sens étroit) ; pour les entretenir, forcc sera de prélever en A et en B un surproduit de seconde espèce à l'intention de cette nouvelle catégorie (C). 3. - Mais producteurs ou non, les travailleurs ne peuvent être les seuls membres de la société. Celle-ci admet encore parmi ses membres, à titre légitime, des non-travailleurs temporaires ou définitifs (enfants, vieillards, malades). Seul l'état de barbarie que nous avons caractérisé en a pourrait excuser, sinon justifier, l'abandon ou l'extermination de ces « bouches inutiles )). Pour les nourrir il faudra donc un surproduit de troisième espèce prélevé à la fois en A, en B et en C. Nous avons ainsi défini, de la manière que les mathématiciens appellent « récursive ))' le surproduit exigible dans toute économie non stagnante ou non régressive, qu'elle soit de forme naturelle ou marchande. A la notion de surproduit est nécessairement associée celle de « surtravail », c'est-à-dire du travail poussé audelà de ce qui est nécessaire à l'entretien du travailleur individuel ou collectif. Mais nous venons d'aboutir à un résultat un peu étonnant : non seulement le surtravail est antérieur au capitalisme, comme Marx le déclare explicitement, mais encore il devra exister dans tout régime qui pourrait lui succéder, pourvu que ce régime ne régresse pas au niveau de la barbarie. Dans ces conditions, nous devons considérer comme vides de sens économique et social, aussi bien la formule simpliste attribuée à Blanqui : « Celui qui fait la soupe la mange», que la conception apparemment plus relevée de Karl Menger sur le « droit au produit intégral du travail », qu'un « marxisme » de tréteaux se plaît souvent à présenter comme le fond de la revendication sociale. Le surtravail apparaît bien comme la condition nécessaire d'une exploitation éventuelle, mais son concept ne se confond pas avec celui de l'exploitation, qu'il convient de soumettre à un examen attentif. Exploitation EUGÈNEPOTTIERs'interroge Hideux dans leur apothéose, Les rois de la mine et du rail Ont-ils jamais fait autre chose Que d'exploiter le travail? Le dernier vers cloche un peu, mais on s'entend, ou l'on croit entendre parce que l'on suppose donnée avec la notion du surtravail celle d'exploitation, ce qui n'est pas le cas, nous venons de le voir. Marx a brillamment utilisé la notion de surtravail pour caractériser les trois formes les plus connues de l'exploitation : esclava~e, servage et salariat. Nous croyons savoir avec lui que seule

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