Le Contrat Social - anno IV - n. 2 - marzo 1960

L. LAURAT des travailleurs (y compris les jeunes qui doivent le devenir et les vieux qui l'ont été) se confondait pour lui de toute évidence avec celle des consommateurs. Et puisque le socialisme était destiné à relever la condition humaine, aussi bien morale et intellectuelle que matérielle, il impliquait la priorité du consommateur, non celle de l'industrie lourde. Cette priorité est affirmée par tous les marxistes. Les bolchéviks eux-mêmes promettent, à chacun de leurs plans, de satisfaire ces besoins de la consommation. Le socialisme, toujours selon Kautsky, ne se maintiendra que s'il satisfait les intérêts des consommateurs. Émile Vandervelde exprime la même idée en cette phrase lapidaire : Il importerait assez peu que nos principes de répartition soient plus équitables que les principes actuellement admis, si leur application devait amener un recul ou même un arrêt dans l'expansion des forces productives 12 • Otto Bauer est encore plus explicite : S'il arrivait que dans la société socialiste, il était produit moitié moins de marchandises que dans la société capitaliste, les travailleurs ne vivraient pas mieux dans cette société et probablement même plus mal que sous la tyrannie du capital; la répartition plus juste ne nous servirait de rien s'il y avait moins à répartir 13 • Ces larges citations montrent l'évolution de la pensée marxiste depuis la mort de Marx et d'Engels, qui n'avaient laissé que des indications fort vagues sur une transformation sociale qu'ils jugeaient encore lointaine. Les principes énoncés par leurs continuateurs apparaissent aujourd'hui, après les nationalisations réalisées en Europe occidentale et surtout après les expériences soviétiques, comme pourvus d'une force axiomatique. La déception .q~i se m~nifeste dans la J?lupart des partis socialistes occidentaux à la suite des nationalisations réalisées au lendemain de la guerre et qui s'exprime dans les nouveaux program~es - déjà adoptés ou en voie d'élaboration - ~ie~t en grande partie à la non-observance de ces principes, même en Angleterre où le I,:abour les a le moin~ enfreints. Il est donc permis de se demander s1 la socialisation telle qu'elle était conçue par les marxistes que nous citons a réellement les vertus qu'ils lui prêtaient. Si leurs mises en ga~de se so~t révélées justifiées, leurs recommandations positives n'ont pas porté les fruits attendus; l'exemple anglais le prouve. EN 1921, la faillite du communisme de guerre, révélée par la révolte de ~r<;>nstadt,co1;1firmales avertissements des théor1c1ens marxistes. En rétablissant le marché et en désétatisant un large secteur de l'industrie et du commerce, en rendant aux paysans le droit de travailler pour leur propre compte, Lénine et son équipe durent avouer que 12. É. Vandervelde : Le Collectivisme, p. r 4. 13. O. Baucr : op. cit., p. 13. Biblioteca Gino Bianco 105 la Russie n'était pas mûre pour le socialisme. Il en résulta une « économie mixte» caractérisée par la coexistence et la compé?é,tration d'U? secteur étatique et d'un secteur prive, _ce_dern~er co~- prenant à la fois une partie capitaliste (industrie et commerce de gros) et une autr~ relevant ~e l'économie marchande simple (agriculture, artisanat et petit commerce). Mais l'éc~n~mie russ~ n'était même pas mûre pour un so~ialisme a~ssi partiel et étriqué : dès _1923, o,f!-vit s~ d~ss~n~r la crise de la nep, du fait que 1 industrie etatisee et bureaucratisée ne parvenait pas à se développer aussi rapidement que le secteur libre. Les échanges entre l'industrie et l'agriculture s'en trouvèrent perturbés. Le capitalisme, pourtant entravé et surveillé, se montrait d'une efficience largement supérieure à celle du secteur étatisé. C'est pendant cette brève rériode de C?existence (1921-29) que quelques Jeunes. marxistes : Dachkovksi, Dvolaïtski, Motylev, Lapidus, Ostrovitianov, Léontiev et Khmelnitskaïa - pour ne mentionner que les principa_ux - posei:it des questions (sans d'ailleurs avoir la pretention de les résoudre immédiatement) ayant trait aux aspects économiques les plus saillants, les plus inédits d'une coexistence elle-même inédite. Le Finanzkapital d'Hilferding leur en fournissait le point de départ et la méthode : en analysant les rapports entre les secteurs monopolisé et concurrentiel de l'économie capitaliste du début du siècle, Hilferding avait examiné la circulation de la valeur entre les deux secteurs, la nouvelle répartition de la plus-value qui se concentrait dans le secteur monopolisé, ainsi que la mise en échec de la « péréquation du taux de profit », pièce maîtresse du livre III du Capital. Les théoriciens communistes n'avaient qu'à reprendre le schéma de Hilferding en substit~ant aux monopo1es capitalistes le monopole de l'Etat soviétique en face du secteur privé de l'économie. Ils se demandaient dans quelle mesure la spontanéité du marché était entravée ou pouvait l'être par la pesée du secteur public ; dans quelle mesure il pouvait y avoir compatibilité entre le marché et le plan imposé par l'Etat; si le secteur étatique était assez fort pour l'emporter sans mesures de contrainte extra-économiques sur le secteur privé; si le premier - monopole d'État - pouvait, à l'instar du secteur monopolisé (M. Dessirier l'appelait <<abrité»)décrit par Hilferding, prélever sur le second des profits de monopole lui permettant de disposer de la plus grosse part du fonds d'accumulation et de le mettre au service de son plan. Toutes ces questions ne reçurent pas de réponse, la nep n'ayant été qu'une étape sans lendemain. Elle n'était pas viable, car même le secteur restreint que Lénine avait voulu réserver comme dernier réduit à une gestion collective n'était pas à la hauteur de sa tâche. L'économie collectivisée fonctionnait mal, incapable de battre le secteur privé en n1atière de productivité, contrairement à ce que Boukharine avait espéré. Aussi ne pouvait-elle trouver par ses propres moyens

RkJQdWJsaXNoZXIy MTExMDY2NQ==