Le Contrat Social - anno IV - n. 2 - marzo 1960

100 étaient différents. Taïrov n'était rien moins qu'un bolchévik dans son attitude personnelle et ses convictions ; son credo artistique le poussait à ne pas user du théâtre comme d'un forum de propagande et de mobilisation des masses, contrairement à Meyerhold et à ses disciples. Taïrov rêvait d'une régénération du théâtre purement esthétique ; non d'une théâtralisation de la vie telle que la concevait le metteur en scène Evreinov, mais d'une «théâtralisation du théâtre ». Ce n'était cependant pas par accident que ses mises en scène contenaient des éléments du théâtre révolutionnaire. Comme Meyerhold, Evreinov et la plupart des champions d'« Octobre au théâtre», Taïrov était le produit du mouvement réformiste d'avantgarde qui s'était emparé de la vie culturelle russe avant la première guerre mondiale, réaction contre l'échec de la révolution de 1905 ou, en quelque sorte, sa sublimation. Ses espoirs politiques anéantis, l'intelligentsia se tourna vers l'émancipation dans le domaine esthétique. Lorsque, en 1917, la vie politique fut libérée de l'oppression, la révolution artistique rejoignit aussitôt le courant de la révolution politique. Les expressionnistes, futuristes et symbolistes devinrent les protagonistes de l'art révolutionnaire; leurs innovations, élaborées bien avant la révolution et indépendamment d'elle, se révélèrent parfaitement accordées à l'esprit turbulent du temps. Nombre de moyens artistiques essayés par Taïrov dans son théâtre expérimental, tels la méthode synthétique de représentation et les décors stéréométriques, furent adoptés sans hésitation par le théâtre révolutionnaire. En même temps, l'année 1917 marqua un changement décisif pour Taïrov personnellement. Son Théâtre de chambre, comme le Théâtre d'Art de Moscou, se trouva libéré d'un constant malaise financier et eut la possibilité d'opérer sur une échelle beaucoup plus vaste. En outre, la période postrévolutionnaire offrait un climat fertile aux aspirations de Taïrov. Le public, réceptif aux innovations de toute nature, accueillait avec enthousiasme les fantaisies les plus débridées et les acclamait comme des exploits révolutionnaires, ce qui permettait à Taïrov de donner libre cours à son imagination. Il quitta son ancien exclusivisme ésotérique et plongea dans le grand courant de la vie publique. Ce contact avec la réalité eut sur lui un effet vivifiant et débarrassa ses productions de ce qu'elles avaient d'un peu décadent et d'extravagant. Le « théâtre théâtral » IL VA SANS DIRE que, de son côté, Vakhtangov, avec son penchant pour l'improvisation, tomba aussitôt sous le charme de la révolution. Il notait dans son journal : . . . ·Nous devons dramatiser l'esprit ·rebellé du peuple ... Il serait bon que quelqu'un écrivît· une pièce sans aucun - Bibl-ioteca Gino Bianco L'EXPÉRIENCE COMMUNISTE rôle individuel. De la première à la dernière scène, les masses seraient les seuls acteurs. Il avait abandonné le psychologisme extrême de Stanislavski au profit du mouvement de masse, également poussé à l'extrême, de Meyerhold. Mais, déjà marqué par la mort, il trouva finalement son style personnel. Les grandes réalisations datent des deux dernières années de sa vie, 1921 et 1922, qui sont parmi les plus terribles de l'histoire russe. Au milieu de la misère, de l'horreur et du désespoir, torturé par la maladie, Vakhtangov laissa éclater la gaieté radieuse de son «théâtre théâtral ». L'immense succès de ses réalisations, accueillies avec enthousiasme par le public et approuvées par ses pairs - Stanislavski, Némirovitch-Dantchenko et Meyerhold, - est peutêtre dû au fait qu'à une heure décisive il incarna en visions théâtrales les espoirs du peuple. Le jeune metteur en scène qui avait acclamé sans réserve la révolution sentait que le moment était venu d'y mettre fin. Dans ses créations, il anticipait la fin de la terreur à laquelle aspirait toute la nation. Les acclamations triomphales qui saluèrent sa Princesse Turandot alors qu'il gisait déjà sur son lit de mort, coïncidèrent avec l'avènement de la nep, brève période de liberté politique et économique. Les productions de Vakhtangov paraissaient une promesse de vie meilleure. Dans cette dernière phase, les méthodes d'improvisation de Vakhtangov se modifièrent. L'improvisation se limitait maintenant aux répétitions où chaque membre de la troupe avait l'occasion de déployer son imagination et ses dons de repartie. Puisant dans une masse de suggestions et d'idées, le metteur en scène cristallisait la forme définitive. Il n'y avait plus d'improvisation pendant la représentation ; ce qui importait désormais, c'était le sens acquis de l'improvisation. Par contraste avec Gorki et Meyerhold, pour qui l'essence de l'improvisation était la création de la pièce par les acteurs eux-mêmes - ceux-ci étant considérés comme les représentants des masses qui, suivant l'expression des communistes,« prennent leur sort en main», - l'essence de l'improvisation était pour Vakhtangov non pas les déclarations collectives sur la politique culturelle, mais le jeu libre, détendu et serein des comédiens, symbole d'une existence libre, détendue et sereine. Cette différence s'exprimait à la fois dans le choix des sujets (littéraires et non politiques) et dans les méthodes («théâtre théâtral» et non scènes de masse). L'aversion de Vakhtangov pour toute idéologie préfigurait une tendance générale qui dev~it s'affirmer dans le théâtre soviétique à verur. Stanislavski restait complètement à l'écart de la révolution d'Octobre. La réorganisation radicale de la société avait porté à son travail créateur un coup dont il ne se remit jamais. Au début, il avait bien tenté de sacrifier au goût du jour en montant une représentation symboliste d_u_mys:..: tère de Byron, Caïn; mais à cause de son.contextereligieux (à une époque de campagne virulente

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