E. DELIMARS la science biologique.. . Les dirigeants actuels ont une conception entièrement fausse de cette science ... A. N. Nesméianov, président de l'Académie, A. V. Toptchiev, secrétaire scientifique de son présidium, et les dirigeants de la section de biologie ont maintes fois affirmé que notre biologie théorique et surtout notre génétique sont en retard sur celles de l'étranger ... On prétend que nous serions en retard en biochimie et en biophysique. Les biologistes mitchouriens et en premier lieu, naturellement, l'académicien Lyssenko, sont tenus pour responsables de ce retard. Mais que viennent faire là ces biologistes, Lyssenko y compris? ... Depuis plus de dix ans la section de biologie est dirigée par les biochimistes( ...) par A. I. Oparine, puis par V. A. Engelhardt. De plus, A. N. Nesméianov est un spécialiste de chimie organique ... Pour quelle raison alors la critique (...) ne les touche-t-elle pas et ne vise-t-elle que la biologie mitchourienne qui, dit-on, retarde sur l'étranger ?... Notre biologie mitchourienne n'est nullement en retard. Par la profondeur de sa doctrine, par sa rigueur scientifique (...) elle n'est en rien comparable à la biologie officielle des pays étrangers ..• On ne peut pas comparer ces deux biologies pour voir laquelle retarde sur l'autre, car leurs orientations sont divergentes et opposées ... En vain les chimistes et les physiciens cherchentils dans le corps vivant une quelconque matière chimique qui soit spécifique de l'hérédité. Cette matière n'existe pas, elle ne peut exister. La matière de l'hérédité est un mythe inventé par la métaphysique, ou un esprit inventé par les idéalistes. Certains chimistes et physiciens, connus et hautement qualifiés dans leur spécialité, crurent en ce mythe biologique. Là gît, à mon avis, la cause principale de notre retard en biochimie et en biophysique... De plus beaucoup de biologistes( ...) ne rêvent que d'expériences chimiques et non de recherches biologiques, ils étudient ou plutôt veulent étudier la chimie de la matière de l'hérédité et non la chimie du vivant... La chimie y gagne peu, et la biologie y perd beaucoup. Lyssenko affirme une fois de plus que le problème f de la modification dirigée de l'hérédité est d'ores et déjà résolu par lui : Si l'on veut se rendre (...) maître de la modification dirigée de l'hérédité, il faut s'adresser à des gens qui savent déjà diriger celle-ci dans les organismes végétaux et animaux, non à ceux qui non seulement ne savent pas, mais proclament même que c'est impossible ... Je ne suis certes pas d'accord avec l'académicien N. N. Semenov quand il déclare que le pire malheur (...) c'est d'affirmer : « Par ce moyen tu n'obtiendras rien.» Cela consiste à dire qu'un savant ne peut rien prévoir dans sa propre spécialité, que par principe il ne doit pas dire aux autres: « Tu n'obtiendras rien par ce moyen.,, Alors à quoi sert d'être savant, à quoi bon les lois de la science s'il est impossible de s'appuyer sur elles pour prévoir le résultat d'expériences ou de mesures pratiques ? Si l'on interprète dans ce sens mon désaccord avec N. N. Semenov qui m'accuse d'imposer des frontières à la science, j'accepte cette accusation. L'histoire de la science connaît bien des différcnds entre savants aussi irréductibles, mais chez . . Lyssenko la conviction de détenir envers et Biblioteca Gino Bianco 87 contre tous la vérité absolue en fait un véritable fanatique, prêt à livrer ses adversaires au « bras séculier ». S'IL EST très facile d'épurer la rédaction d'une revue, il n'en est pas de même à l'Académie: on risque de provoquer un tollé général dans le monde savant, réaction fort indésirable pour Moscou dans le « climat » actuel de bonne volonté et d'échanges culturels. Mais il existe un autre moyen de neutraliser les ennemis retranchés dans cette auguste institution. Jusqu'à présent, l'Académie établissait le plan détaillé de la recherche scientifique non seulement pour ses propres instituts, très nombreux et variés, mais aussi pour les Académies des Républiques fédérées et, en général, pour tous les établissements du même ordre. Il était difficile de l'obliger à adapter les détails de ce plan aux vues de Lyssenko et de priver de moyens de travail les dissidents. Tout sera changé dorénavant. L'Académie n'établira plus qu'un plan d'orientation générale et les plans détaillés seront élaborés sur place, par les Académies locales et les « Comités scientifiques » des régions économiques ; y siégeront les savants, techniciens, fonctionnaires des sovnarkhozes et même les praticiens sans formation scientifique. Ainsi se réaliserait le « contrôle par la pratique », cher à Khrouchtchev, du travail des savants, tout au moins dans le domaine des sciences biologiques. Il va de soi que ce changement dans les modalités de la planification fut imposé par des considérations très nombreuses, et pas seulement pour complaire à Lyssenko; il n'en facilite pas moins les intentions de ce dernier. Si l'on y ajoute l'adoption de la rémunération des savants au prorata des résultats obtenus, on doit reconnaître que la science soviétique est actuellement bien harnachée et plus facile à mener par le Parti qu'auparavant. Après Soukatchev et le comité de rédaction de la Revue de botanique, ce fut le tour de N. P. Doubinine, généticien coupable d'avoir exposé avec sympathie les thèses des biochimistes et généticiens étrangers sur l'acide désoxyribonucléique en tant que porteur matériel probable de l'hérédité, et d'avoir tenté de concilier la génétique classique avec le matérialisme dialectique 9 • Son autre crime est d'avoir reproduit dans ses articles à peu près textuellement les explications du mécanisme chromosomique de l'hérédité que le savant américain G. Gamov, ancien émigré 9. Voir les articles de Doubinine dans Bulletin de la sociétt moscovite des naturalistes (n° 5, 1957), Questions de philosophie (n° 6, 1957), ainsi que dans la revue de vulgarisation la Technique pour la jeuness, (n° 5, 1957).
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