Le Contrat Social - anno IV - n. 2 - marzo 1960

84 d'aujourd'hui que celle de Marx, Engels et Lénine, légèrement caduque. Dès 1956 commença la préparation à Moscou d'une « Conférence fédérale sur les problèmes philosophiques des sciences naturelles d'aujourd'hui». Les exposés qui devaient y être présentés furent préalablement soumis au Comité d' organisation, créé le 29 juin 1956 par le présidium de l'Académie des sciences et le ministère de l'Enseignement supérieur, qui veillait avec soin à aplanir des heurts possibles et à assurer aux discussions futures un climat scientifique digne et calme. Ce souci excluait, naturellement, tout discours de Lyssenko, le caractère « à la Araktchéiev » de ce dernier ne permettant pas une discussion de haute tenue. Cette conférence se réunit du 21 au 25 octobre 1958 à Moscou. Ses travaux méritent d'être étudiés de près, car les communications qui furent faites et la discussion qui suivit éclairent nombre de points peu connus de l'évolution actuelle des sciences de la nature en URSS et l'effort des philosophes marxistes russes pour interpréter les progrès de ces sciences. Malheureusement, une telle étude reste à faire. La bonne préparation de cette consultation scientifique assura effectivement une haute tenue aux travaux qui se déroulèrent avec toute la décence et le sérieux propres à la science. Les tentatives de Lyssenko et consorts d'y mettre leur grain de sel furent déjouées : le secrétaire du Comité d'organisation, E. N. Tchesnokov, déclare en effet dans son compte rendu : Les membres de la conférence tinrent compte de la recommandation du Comité d'organisation de ne pas élargir le cycle des problèmes philosophiques de biologie soumis à la discussion, car des débats sur de nouveaux problèmes, sans exposés préparés d'avance( ...) en auraient abaissé le niveau 1 • Dans le discours de clôture, le président de la conférence, P. N. Fédosséiev, directeur de l'Institut de philosophie de l'Académie des sciences, traite, lui aussi, du cc caractère de la critique scientifique » : Chez nous, cette critique dépasse le cadre de la science et ne peut donner les résultats que nous en attendons. On a déjà parlé ici du genre de critique que l'on trouve dans le Botanitcheski Journal [« Revue de botanique»]. Souvent des injures s'y mêlent à la critique, on colle [à l'adversaire] des étiquettes [infamantes]; parfois cette critique nie en bloc les résultats obtenus par tel ou tel savant qui expose dans un ouvrage ou un article le bilan de ses recherches. La lutte contre l'idéalisme, contre les influences bourgeoises doit, certes, être menée d'une façon de plus en plus résolue, de plus en plus insistante. Les intérêts de l'éducation marxiste-léniniste, les intérêts du développement de la science exigent cette lutte. I. « La conférence fédérale sur les problèmes philosophiques des sciences de la nature, » in revue Questions de philosophie, n° 2, février 1959. Biblioteca Gino Bianco L'EXPÉRIENCE COMMUNISTE Mais, dans la polémique scientifique, dans la discussion des problèmes de la science entre savants soviétiques, on ne doit pas employer les formes et les modalités de la lutte contre l'idéologie ennemie, contre l'ennemi de classe (...) Il faut constater que notre conférence s'est déroulée sous le signe du renforcement de la collaboration entre les philosophes et les naturalistes. Nous n'avons pas entendu ici d'épithètes telles que « métaphysicien » ou « idéaliste », appliquées sans aucune justificalion à des· adversaires. Une atmosphère de discussion entre camarades a régné dans cette conférence, et c'est très important. Quand quelqu'un manifestait ici ses sentiments de coterie, quand il formulait certaines répliques ou appréciations déplacées, l'auditoire ne le soutenait pas. L'allure générale des travaux fut normale. Il me semble que sous ce rapport notre conférence doit avoir une grande importance éducative. Il serait très bon qu'à l'avenir, dans toutes nos conférences, règne une même atmosphère normale dans la discussion féconde des problèmes scientifiques entre les philosophes et les naturalistes. Après cette observation consolante, Fédosséiev arrive, pour conclure, au problème particulièrement brûlant de l'hérédité en ces termes : Quand il est question d'étudier un problème aussi complexe que celui de l'hérédité, quand il s'agit de tenir compte d'une multitude d'aspects de celle-ci, des processus internes de l'organisme et de son interaction avec le milieu extérieur, les chimistes, les philosophes, les mathématiciens doivent travailler de concert avec les biologistes afin d'échapper aux vues unilatérales et bornées, d'éviter les tentatives hâtives de trancher ce problème très complexe en partant d'une seule et unique position quelconque 2 • Ainsi, tout allait bien en apparence dans la biologie soviétique en 1958. Aux élections des nouveaux membres de l'Académie des sciences, le 26 juin, deux membres correspondants furent élus dans la section des sciences biologiques : A. N. Belozerski, biochimiste connu et collaborateur d'Engelhardt, et B. A. Astaourov 3 , cytologue dont les travaux corroborent les thèses de la génétique chromosomique occidentale. Les problèmes pouvaient donc être abordés sous tous leurs aspects, les méthodes biochimiques et biophysiques de la recherche étaient reconnues valables et pratiquées à côté des méthodes purement biologiques de Lyssenko. On pouvait croire qu'aux ·biologistes s'étendait la liberté accordée aux physiciens et techniciens soviétiques, spécialistes de disciplines directement utiles à la défense du pays et à l'accroissement de son prestige international. Tous ceux qui s'occupaient des fusées terrestres et interplanétaires, des recherches nucléaires, etc., étaient déjà depuis longtemps traités en enfants chéris du régime et placés dans des conditions de travail impossibles à trouver aUleurs. Un physicien américain, Robert E. Marshak, racontait à son retour d'un voyage en URSS que ces savants spécialisés jouissaient d'une triple bénédiction de liberté : 2. Questions de philosophie, n° 2, février 1959. 3. Messager de l'Académie des sciences de l'URSS, n° 8, octobre 1958.

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