Le Contrat Social - anno IV - n. 2 - marzo 1960

P. BARTON tation intensive représenta le type le plus répandu d'entreprise agricole; c'est elle qui correspond le mieux aux exigences de la culture fondée surtout sur l'irrigation. Mais cela n'empêcha pas, dans de nombreux cas, le développement des grandes propriétés foncières. Le plus souvent c'est le propriétaire non paysan qui surgit le premier sur les terres privées : le rôle de pionnier incombe en l'occurrence aux fonctionnaires civils ou militaires et à leurs parents, parfois à des marchands, les terres continuant alors d'être cultivées par des tenanciers 13 • La même tendance se manifeste dans d'autres sociétés génératrices du despotisme. Il est symptomatique à cet égard que le domaine dispersé, connu en Europe occidentale au début du Moyen Age, existait encore en Russie vers la fin du xve siècle, en dépit de l'énorme expansion de la grande propriété foncière sous la domination mongole 14 • C'est sans doute là qu'il faut chercher les racines des particularités des nobles russes, qui au x1xe siècle frappaient les observateurs : le peu d'intérêt qu'ils prêtaient à leurs terres dont ils confiaient l'exploitation aux communes paysannes redevables de tributs, ainsi que leurs traits de ressemblance avec les rentiers. La notion de classe ne peut en aucune façon s'appliquer à des catégories sociales de ce genre. L'erreur est pourtant fréquente, jusque dans les travaux sérieux. On considère souvent les marchands «nomades» comme la classe capitaliste de la Russie traditionnelle, bien que, de toute évidence, ils n'aient aucune commune mesure avec la véritable bourgeoisie : classe très diversifiée, celle-ci comprend des industriels, de riches fermiers, des commerçants, des banquiers, de gros entrepreneurs et de petits patrons, et les multiples rapports entre ses éléments constitutifs forment une structure complexe et dynamique. Bien plus, une classe telle que la bourgeoisie est solidement enracinée dans la société, non seulement par ses attaches plus ou moins étroites avec la petite bourgeoisie et autres couches moyennes, mais par des rivalités et même des antagonismes qui l'opposent à d'autres classes. On sait par exemple combien, au XIXesiècle, l'adoption des lois pour la protection de la main-d' œuvre contribua à la consolidation de l'industrie capitaliste anglaise en imposant des limites au jeu du hasard et de l'arbitraire. Or, dans une large mesure, cette œuvre législative fut accomplie du fait que les porte-parole de la grande propriété terrienne rivalisaient au Parlement avec les représentants de la bourgeoisie. Ce genre d'action spontanée et nuancée des forces sociales n'existe pas, tant s'en faut, à l'intérieur des communautés soumises au despotisme. Les relations entre groupes sociaux s'y limitent plus ou moins à la subordination des uns aux autres., à la hiérarchie. Plus une catégorie se dégage de 13. Karl A. Witûogel : op. cit., pp. 276-77. 14. J. Kuli1cher : 0/). cit., p. 43. Biblioteca Gino Bianco 79 l'amorphie générale, plus elle se trouve isolée; rien de plus caractéristique que la situation des pochteca mexicains qui, selon toute apparence, avaient leur propre dieu et habitaient un quartier déterminé. LORSQU'UNE POPULATION auss1 dépourvue de structure doit faire face à une tâche vitale -L exigeant une concentration considérable de_ressources matérielles et d'aptitudes humaines, elle ..1. ne trouve pas en elle-même de groupe social: capable, par ses qualités intrinsèques, d'en prendre l'initiative--et la responsabilité, d'imposer aux autres les ·èfforts requis. Il faut alors qu'un organisme en quelque sorte artificiel, un appareil, intervienne du_ dehors. Les travaux hydrauliques, nécessaires à l'agriculture dans certaines régions, offrent un exemple classique mais nullement unique. En Russie, l'essor de l'appareil despotique, mis en place surtout sous l'influence des khans - qui s'étaient probablement inspirés du modèle chinois 16 - vint de la nécessité d'arrêter l'hémorragie due à la conscription et aux taxes mongoles, puis des dangers de guerre qui pesaient de toutes parts et presque sans répit sur la monarchie moscovite 16 • D'autre part, une fois installé, l'appareil entrave le développement de la structure sociale parce qu'il draine, pour s'acquitter de sa fonction, une fraction importante des ressources qui en d'autres circonstances demeureraient en des mains privées et serviraient de base à la formation des classes. Le service dans l'appareil ou en marge de celui-ci exerce dès lors une grande force d'attraction, non seulement à cause du pouvoir qu'il confère, mais encore parce qu'il est un moyen d'enrichissement, ce qui à son tour contrarie la constitution des classes possédantes. Il ne faut pas conclure pour autant que le despotisme poursuit à l'égard de ces dernières une politique délibérément hostile; pareils phénomènes ne se produisent que de manière épisodique et leur portée historique est plutôt limitée. Attribuer à l'appareil despotique la crainte des forces sociales vivantes est un anachronisme; les auteurs partisans de cette vue projettent dans le despotisme antique des caractéristiques qui n'appartiennent qu'au totalitarisme moderne. * ,,. ,,. PARFOIS, la projection se fait aussi dans le sens opposé. C'est ainsi que dans son important ouvrage sur le totalitarisme, Hannah Arendt déclare : ~ L'écroulement de la société de classes, qui constituait la seule structure à la fois politique et sociale de l'État national (...) a créé pour la montée du mouvement 15. Karl A. Wittfogel et Feng Chia-sheng : History of Chines, Society. Liao, Philadelphie 1949, p. 533. 16. G. Vernadsky : op. cit., pp. 389-90.

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