Le Contrat Social - anno IV - n. 2 - marzo 1960

DESPOTISME, TOTALITARISME ET CLASSES SOCIALES par Paul Barton L'ÉTUDE COMPARATIVE du totalitarisme et de l'antique despotisme dit oriental met au jour une affinité importante : dans les deux cas la société est dominée par un « appareil », institution impersonnelle douée de caractères qui sont ailleurs l'apanage de la classe dirigeante : cohésion et continuité dans le temps, lesquels permettent de disposer vraiment des moyens de production essentiels. Les membres de l'appareil, divisés par l'articulation de ce dernier, dépendent de la bonne grâce du souverain et ne constituent pas à proprement parler une classe sociale, quels que soient leurs privilèges. La différence entre les deux systèmes n'en est pas moins notable : l'appareil totalitaire s'applique à refondre sans cesse la communauté sur laquelle il s'est greffé, alors que l'appareil despotique tend à la préserver de toute évolution 1 • Si l'on retrouve donc dans le totalitarisme cette particularité du despotisme qu'est « l'étonnant pouvoir du prince et l'étrange faiblesse du peuple» 2 , la prépondérance de l'appareil sur la société n'est pas la même dans les deux cas. Celle de l'appareil totalitaire est plutôt précaire. Il est juste assez fort pour s'emparer du pouvoir à la faveur d'une crise extraordinaire et le conserver au prix de bouleversements continuels. Dans les civilisations agrohydrauliques génératrices du despotisme, l'Etat pèse sur la société par le poids économique des grands travaux qu'il est seul en mesure d'entreprendre. On pourrait d'ailleurs introduire bien des nuances dans ce tableau. L'État totalitaire assure, lui aussi, une fonction-dé dans la production matérielle ; ses activités économiques peuvent même dépasser de loin celles du régime despotique. Et les travaux publics effectués par ce 1. Cf. "Du despotisme oriental• et • Despotisme et totalitarisme •, in Contrat social, n°' 3 et 4 de 1959. 2. Montesquieu : Esprit dts lois, XIII, x. Biblioteca Gino Bianco dernier revêtent une importance très variable dans l'économie sociale. Il est même des cas de despotisme où pareille entreprise fait presque défaut, l'intervention économique de l'État tendant à se limiter à l'organisation et à l'appropriation. Les nuances n'annulent cependant pas l'antinomie fondamentale. L'étatisation intégrale de l'économie ne dispense pas l'appareil soviétique de secouer et de remanier sans répit la structure sociale. D'autre part, là où le despotisme s'instaure sans infrastructure hydraulique, il peut se rapprocher des méthodes totalitaires, comme l'évolution de l'autocratie tsariste en fournit un exemple. Toutefois, si exceptionnellement il peut y avoir despotisme sans entreprise hydraulique et si le monopole de l'industrie et du commerce ne suffit pas à perpétuer le système totalitaire, l'analyse des deux systèmes ne peut se limiter à l'appareil, à ses méthodes et à ses rapports avec la société. Il importera d'étudier également la structure de la communauté qui l'a engendré et qui le subit. QUELLE QUE SOIT leur diversité, toutes les sociétés despotiques ont ceci de commun qu'elles ne comptent pas de classes proprement dites. Tout au plus y trouve-t-on des catégories sociales qui ressemblent à des classes à certains égards, mais n'en présentent jamais tous les caractères essentiels. Il est des cas où les individus ou groupes d'individus exerçant la même activité économique ne parviennent pas à se constituer en classe sociale et demeurent séparés les uns des autres. Au lieu d'une _.classepaysanne, on trouve un peu partout une multitude de paysannats flocaux juxtaposés. Au sujet] des villages de l'Inde, Marx a parlé, fort à propos, de « myriades d'organisa-

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