Le Contrat Social - anno IV - n. 2 - marzo 1960

R. PIPES Bien faibles lui apparaissent les ~hances de succès d'un mouvement politique auquel cette: capacité fait défaut, quels que soient le nombre de ses partisans, la qualité de ses chefs et la valeur de son programme. Pour exercer son autorité de manière efficace, c'est-à-dire pour imposer sa volonté, le groupe dirigeant doit pouvoir trouver, chez les sujets, un certain degré de consentement. « Tout rapport authentique ~e d<?mination.- .soumiss~on (Hen-schaftsverhaltnis) enge un m101mum bien déterminé de désir d'obéissance, d'intérêt (interne et externe) à obéir 10 • » Ce consentement est essentiellement question de / oi. « Le fondement de toute autorité, c'est-à-dire de toute subordination, est une sorte de / oi : la foi consentie au dirigeant ou aux dirigeants en raison de leur prestige 11 • » Partant du type de consentement obtenu, Weber divise tous les systèmes politiques en trois catégories principales: le pouvoir charismatique, où la relation des dirigeants aux sujets est fondée sur une « reconnaissance » non rationnelle des uns par les autres ; le pouvoir traditionnel, qui tire l'assentiment de la légitimité et de la coutume ; enfin le pouvoir rationnel, le type européen moderne, qui s'assure le consentement populaire par les voies de la représentation, du référendum et d'autres moyens juridiquement établis. A cette même fin le système politique rationnellement organisé recourt également à l'institution du parlement : Les parlements modernes sont au premier chef les corps représentatifs de ceux qui sont régis au moyen de la bureaucratie. Un minimum d'approbation intime chez les sujets, au moins de la part des couches les plus importantes socialement, telle est la condition de la stabilité de n'importe quel régime (Herrschaft), même le mieux organisé. Les parlements sont, de nos jours, le moyen de manifester extérieurement ce consentement • • 12 nummum. Il n'est pas aventureux de supposer que l'opinion de Weber sur les fonctions limitées des parlements- comme d'ailleurs tout son scepticisme à l'égard d'un pouvoir législatif démocratique - dérive de l'histoire du Reichstag. Cette assemblée, malgré les prérogatives législatives dont elle jouissait en principe, s'était montrée dans toutes les circonstances critiques de l'histoire allemande un instrument malléable à la disposition de la Couronne et de ses ministres. Weber estimait cependant que les parlements, si étroitement délimité que fût leur pouvoir d'influer sur le cours des événements, n'en étaient pas moins indispensables au fonctionnement des grands États modernes de type non charismatique. Ils étaient l'unique moyen d'obtenir de façon continue l'approbation des actes gouvernementaux par la masse des sujets. On peut rendre le parlement 10. Max Weber : Wirtschaft und Gesellschaft, Tübingen 1947, (titre abr~g~ : W & G), I, p. 122. Il. Jl,id., p. 143. 12. GPS, p. 158. Biblioteca Gino Bianco 73 inoffensif, comme l'avait fait Bismarck, mais on ne saurait s'en passer tout à fait 13 • Outre le consentement m1n1murn des sujets, les dirigeants ont besoin d'un appareil capable d'exécuter leurs décisions. La grande contribution de Weber à la science politique réside dans sa pénétrante analyse des aspects administratifs de la souveraineté et dans l'importance qu'il accordait aux pouvoirs politiques exercés dans la plupart des sociétés par un corps de fonctionnaires censé jouer un rôle de pure exécution. Tandis que la plupart des penseurs politiques, fidèles au modèle conçu par les juristes du Moyen Age, voyaient la substance du problème _politique dans la relation du souverain aux sujets, Weber, en tant que sociologue préoccupé davantage de pratique politique que de la théorie des lois, a mis l'accent sur le troisième facteur : l'appareil administratif. A chacun des trois types d'autorité politique correspond un système administratif qui lui est propre. Dans les sociétés charismatiques, cette fonction est remplie par les « hommes de confiance » : apôtres du maître, - représentants divinement inspirés, qui transmettent directement aux sujets sa volonté sans le recours à un appareil permanent. Ce type d'administration se rencontre certes rarement, et par nature sa durée est brève. Dans les sociétés où domine l'autorité de type traditionnel, le corps des fonctionnaires - telle la noblesse héréditaire - est constitué par des « serviteurs » du souverain : toute formation professionnelle lui fait défaut, de même que toute hiérarchie directement liée à ses fonctions. Lorsque ces fonctionnaires reçoivent une formation régulière et se transforment en un corps d'agents salariés, rémunérés selon la capacité et l'ancienneté, ils constituent une bureaucratie au sens propre. La bureaucratie est le système d'administration propre à l'autorité politique fondée sur le principe rationnel, telle qu'elle existe dans l'Europe moderne. Si Weber a accordé dans ses écrits politiques une attention excessive à la bureaucratie, c'est que celle-ci constituait à ses yeux le problème central de- la politique moderne. L'apparition et l'extension de la bureaucratie dans les rouages administratifs contemporains lui paraissaient une partie intrinsèque du processus de rationalisation de la vie occidentale, considérée dans son ensemble. Des phénomènes similaires se retrouvaient dans l'industrie, dans l'armée, dans les partis politiques, dans l'enseignement. Pour Weber l'État est une « entreprise » ( Bem·eb) soumise à des lois identiques à celles de toute entreprise. cc L'État moderne, considéré du point de vue de la science 13. Cf. le mot de Bismarck: « Je ne suis partisan en aucune façon du gouvernement absolu. Je considère la collaboratio11 du Parlement - bien pratiquée - comme aussi nécess:iire et utile qu'est nuisible et impossible l'exercice du pouvoir par le Parlement » (souligné par l'auteur). Discours au Reichstag, 1884, cité par Max Klcmm éd. : Was sagt Bismarck dazu?, II, Berlin 1924.Voir aussi Otto von Bismarck: GcJanJcsnund Brinnsrungan, New York-Stuttgart 1898, pp. 9-12.

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