Le Contrat Social - anno IV - n. 2 - marzo 1960

MAX WEBER~ET LA RUSSIE I par Richard Pipes MAX WEBERpubliant en 1906 deux études sur la politique russe contemporaine, chacune des dimensions d'un volume, Zur Lage der bürgerlichenDemokratie 1:nRussland (Situation de la démocratie bourgeoise en Russie) et RusslandsUebergangzum Schein-l(onstitutionalismus (Passage de la Russie à un régime pseudo-constitutionnel), s'aventurait dans un domaine pour lequel il n'avait jusque-là manifesté aucun intérêt et qui paraissait entièrement étranger à ses compétences professionnelles. Il était à cette époque très connu comme historien de l'économie, spécialisé dans les questions agraires et financières, ainsi que dans la méthodologie des sciences sociales. Il est vrai que deux ans plus tôt, il avait déjà franchi les limites de sa spécialité en traitant des rapports du capitalisme et du protestantisme ; mais en l'occurrence le changement d'orientation était moins net, puisque ces études avaient trait aux conséquences économiques d'un mouvement religieux. On peut ainsi se demander ce qui amena Max Weber, relevant à peine d'une dépression nerveuse qui l'avait condamné à l'inaction pendant près de cinq ans (1897-1902), à interrompre ses cours, à apprendre à lire le russe et à consacrer plusieurs mois au fastidieux dépouillement de la presse russe quotidienne. Qu'est-ce qui le poussa, selon le témoignage de sa veuve et biographe, « à suivre pendant des mois, dans une tension fiévreuse, le drame russe» de 1905 1? L'intérêt de Weber pour la politique russe avait assurément d'autres motifs que la simple fascination de l'actualité. Il était lié, en fait, à ses deux préoccupations essentielles : l'avenir de l'Allemagne et le destin de la société libre. · Les convictions politiques de Weber constituaient un amalgame assez caractéristique de natio1. Marianne Weber : Max Weber. Bin Lebmsbild. Tübingen 1926, p. 342. Biblioteca Gino Bianco nalisme allemand orienté vers la politique de puissance, tel qu'il se manifestait à la fin du xrxe siècle, et de fidélité à l'idéalisme démocratique. « Je fais partie de la bourgeoisie », disait-il fièrement à l'occasion de sa conférence inaugurale à l'Université de Fribourg en 1895. « C'est ainsi que je me sens; j'ai été élevé selon ses conceptions et ses idéaux 2 • » Nous savons par le témoignage de son ami Karl Jaspers que Weber est resté fidèle, sa vie durant, aux conceptions des droits inaliénables de l'homme et de la dignité humaine 3 • Weber lui-même ne s'est jamais lassé d'affirmer son attachement aux principes démocratiques. Mais en même temps il affichait ses convictions nationalistes : «J'ai toujours considéré la politique du seul point de vue national, déclarait-il peu avant sa mort, pas seulement la politique étrangère, mais toute la politique 4 • » Par son premier acte public, le discours de Fribourg, il mettait son pays en garde, en termes énergiques, contre les «dangers» de l'infiltration de paysans d'origine slave dans les provinces orientales 5 • Ses dernières fonctions furent celles de délégué allemand à Versailles et de membre de la commission qui élabora, en 1919-20, la Constitution de Weimar. Dans l'intervalle s'étend un quart de siècle d'étroite identification personnelle à la politique allemande. Pendant tout ce temps, si sévère qu'il se montrât pour le régime des Hohenzollern, Weber ne tourna pas une seule fois le dos à son pays, même lorsque les activités allemandes faisaient violence à ses convictions humanitaires les plus profondes. Ces divers sentiments n'étaient nullement incompatibles. La dualité de Weber était le reflet 2. M. Weber : Gesammelte Politische Schr,Jtcn, Munich 1921, (titre abrégé : GPS), p. 26. 3. Karl Jaspers : Max Weber, Oldenbourg 1932, p. 66. 4. Hi/Je, Berlin, 9 nov. 1916. 5. GPS, pp. 8-30.

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