Le Contrat Social - anno IV - n. 1 - gennaio 1960

56 tion: c'est aussi la prise de conscience de la société comme réalité autonome. Cela dit, reconnaissons que la part de la polémique inutile est, dans les notes de M. Triomphe, très réduite, et qu'il s'attache surtout à indiquer des rapprochements suggestifs ou à signaler les sources où a puisé Joseph de Maistre. Cela donne à penser que les travaux qu'il annonce, tant sur la pensée mystique de Joseph de Maistre que sur le texte qu'il vient d'éditer *, seront d'utiles contributions à l'histoire des idées philosophiques et politiques. YVES LÉVY. *Signalons que M. Triomphe a eu entre les mains le manuscrit original, et en donne des variantes inédites. De la thèse universitaire au pensum frivole PIERRE NAVILLE: Le Nouveau Léviathan. I. - De l'aliénation à la jouissance. La genèse de la sociologie du travail chez Marx et Engels. Paris 1957, Librairie Marcel Rivière et Cie, 514 pp. LA GENÈSE de la pensée de Marx et d'Engels est maintenant un sujet qui tolère l'éternité. L'humeur intellectuelle de M. Pierre Naville, un des introducteurs en France de la psychologie américaine dite « behaviorisme », le porterait plutôt du côté de ce qu'on appelle en URSS le « matérialisme mécaniste» que vers les rivages de la « dialectique ». Il a plus d'affection pour le baron d'Holbach que pour tous les successeurs de Kant, ce qui ne l'a pas empêché d'éditer l'étrange Dialectique de la nature d'Engels. On conçoit donc que, réagissant consciencieusement contre sa propre impulsion, M. Naville ait eu, dans sa thèse de doctorat, le souci de chercher plus particulièrement les éléments hégéliens dans la genèse de la pensée de Marx, non seulement du jeune Marx (ce qui est maintenant . banal) mais aussi de l'auteur du Capital. En plusieurs endroits, la quête a été fructueuse: il est intéressant de voir comment les concepts hégéliens du travail et de la quantité, qui n'avaient en principe rien de commun, ont pu se trouver - rapprochés dans la pensée de Marx et intervenir dans la formation du concept de la quantité de travail, lequel a évidemment d'autres sources encore. M. Naville n'a pas trop sacrifié à la mode actuelle qui consiste à voir principalement en Hegel l'auteur de la Phénoménologie et n'a pas négligé l' Encyclopédie, référence majeure de Marx et d'Engels. C'est ainsi qu'il a épouillé la Logique pour identifier quelques-uns des animalcules que l'on trouve dans la barbe de l'auteur du Capital. Nous n'aurions pas supposé qu'il y en edt tant., mais persistons à penser que ce n'est pas Biblioteca Gino Bianco LE CONTRAT SOCIAL ce qui rehausse la gloire scientifique de Marx : nous eussions préféré que le concept de la (\uantité de travail moyen socialement nécessaire pût être élucidé à la lumière statistique de Quételet plutôt que dans le clair-obscur des considérations para-mathématiques hégéliennes. On connaissait la solide animosité que Hegel nourrissait pour l'esprit mathém~tique, on peut maintenant se convaincre qu'elle a été transmise à sa postérité matérialiste. M. Naville suggère d'autre part, non sans humour, que la fameuse exposition dialectique des relations du maître et du serviteur pourrait être un rendu «idéaliste» pour un prêté « matérialiste» : il faudrait en chercher la source dans Jacques le fataliste et son maître, de Diderot. Ce faisant, il feint d'accepter la légende accréditée par M. Alexandre Kojève selon laquelle ce passage de la Phénoménologie de l'esprit serait la source principale de la théorie marxienne de la lutte des classes. Pour nous, cette prétendue filiation n'est qu'un conte bleu. La conception hégélienne qui voit dans la guerre l'origine de la servitude est incompatible avec .les chapitres d'Engels sur la violence, dont il y a tout lieu de croire que l'esprit avait été approuvé par Marx, et l'élévation de l'esclave à force d'enlisement dans la servitude, telle que la décrit Hegel, n'offre rien qui puisse ressembler à l'appel révolutionnaire des auteurs du Manifeste. Il n'est donc pas étonnant que ni Marx ni Engels n'aient cru devoir se référer de manière explicite au texte de Hegel qu'ils connaissaient certainement. En dehors de tout esprit de revendication nationale, M. Naville a eu aussi le souci de mettre en lumière l'importance de la tradition française dans la genèse de la pensée de Marx ; il rend notamment à Saint-Simon et aux saint-simoniens ce qui leur est dû. On sera moins d'accord sur l'interprétation de la querelle entre Marx et Proudhon. Il semble que M. Naville sous-estime grandement l'importance de l'humanisme feuerbachien comme chaînon indispensable entre Hegel et Marx et aussi comme arrière-plan théologique (nous disons bien théologique) du mar~ xisme. En lisant La Philosophie de la misère, on peut constater .que Feuerbach est jeté bas de son 'piédestal titanique par Proudhon. Nous croyons que Marx, qui n'évoque pas directement cet épisode dans La Misère de la philosophie, a cherché d'une manière détournée à venger son maître en pensée antireligieuse en arguant de l'incompétence générale de l'autodidacte français en matière de philosophie allemande. Si pleine justice n'est pas rendue à Proudhon, M. Naville fait la part belle à Fourier et il a raison. (On a pu 's'étonner - cf. Contrat social de juillet 1957 - que Charles Andler ait oublié de montrer l'importance des formules du fouriériste Victor Considerant dans la genèse du Manifeste.) C'est un écho fouriériste que l'on trouve dans le sous-titre que M. Naville a donné à son propre travail en évoquant la transition de l'aliénation

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