Le Contrat Social - anno IV - n. 1 - gennaio 1960

2 L'habileté de Lénine et sa ténacité en matière d'organisation, de commandement et de tactique furent regardées comme justifiant ses moindres écrits et paroles. Le succès de ses improvisations, contraires à ses concepts les plus dogmatiques, devint une garantie de sa clairvoyance antérieure et le gage d'un radieux avenir. Ses plus proches disciples se mirent à vanter ses supériorités, réelles ou imaginaires, sans admettre critiques ni réserves. Dans leur apologétique se mêlaient obscurément l'admiration sincère, l'espoir de racheter les «erreurs» commises quand jadis ou naguère ils s'étaient permis à tort ou à raison de contredire leur maître, le désir trop humain de partager son prestige et d'affermir ainsi leur position propre, d'assurer leur carrière. Avec une citation de Lénine, ils eurent réponse à tout. Bientôt ils décidèrent la publication des œuvres complètes du «génie de la révolution », réservoir inépuisable en 20 volumes de leçons et recettes permettant de faire face à n'importe quelle circonstance. Lénine formula des objections, sachant que beaucoup de ses écrits avaient perdu de leur intérêt, mais pourtant laissa faire, peutêtre s~crètement flatté, peut-être finalement gagné à l'entreprise. Il n'aurait tout de même pas toléré qu'on parlât de léninisme, lui qui considérait le marxisme comme l'alpha et l'oméga de la science sociale. A SA MORT, un potentiel de superstition et de servilité longtemps accumulé se donna libre cours, savamment capté au profit de ses successeurs. Seuls Kroupskaïa, sa veuve, Trotski, Boukharine et Kamenev protestèrent en vain contre l'érection, sur la place Rouge à Moscou, d'un mausolée intempestif contenant le corps embaumé du célèbre « matérialiste militant», conservé désormais comme une sainte relique 1 . Staline, Kalinine et Rykov, déconseillant l'incinération qui eût été de règle, prirent l'initiative de susciter le culte léniniste, avec son haut lieu de dévotion et de pèlerinage. Zinoviev «proposa » au soviet de Pétrograd à ses ordres de changer en Léningrad l'appellation de l'ancienne capitale. Dans la suite, les noms de Lénine furent conférés encore à plusieurs villes et localités, à des milliers d'institutions et d'édifices, à ne plus s'y reconnaître. Une deuxième et une troisième éditions des œuvres complètes, en 27 volumes, virent le jour par les soins d'un Institut Lénine. Il en sera publié ensuite une quatrième, en · 35 volumes, expurgée par Staline, mais augmentée bientôt de 3 volumes après la mort du censeur, outre 3 volumes d'index sans lesquels l'en~emble perdrait l'essentiel de sa valeur pratique.· Une cinquième édition, ·en 55 volumes, r. Cf. N. Valentinov : « Le mausolée de Lénine», in Contrat social, novembre 1957. BibllotecaGino Bianco LE CONTRAT SOCIAL est actuellement en cours, dont on sait d'avance que Khrouchtchev entend éliminer tout texte qui le gêne, par exemple ce qui concerne favorablement Trotski, ou Zinoviev, ou Boukharine et leurs compagnons d'infortune. A part cela on ne fait grâce d'aucun billet quelconque, du plus insignifiant télégramme signé Lénine. Une abondante littérature ·hagiographique, en partie spontanée, en partie sur commande, entoure les Écritures et entretient le culte. En même temps, sitôt Lénine momifié, Staline s'érigea en théoricien du léninisme, contre Zinoviev qui de son côté se hâtait de composer un copieux ouvrage, le premier, sur le Léninisme. Les Bases du léninisme, les Questions du léninisme, tels sont les titres que, dès 1924, Staline donne à ses recueils de discours et rapports où le léninisme sert de couverture à sa politique personnelle, à ses expédients, à son despotisme. En 1929 la Petite Encyclopédie Soviétique consacre au léninisme un très long article sur huit colonnes compactes. Le Dictionnaire Politique de 1940 traite encore séparément du léninisme. Mais un an après la mort de Staline, le léninisme a disparu de la Grande Encyclopédie Soviétique et du Dictionnaire Encyclopédique de 1954, absorbé par la définition globale du« marxisme-léninisme». De même, c'en est fini du léninisme en tant que doctrine distincte dans le Dictionnaire Politique, 2e édition, de 1958, et dans la Petite Encyclopédie Soviétique, 3e édition, de 1959 : il faut le chercher à «marxisme-léninisme». A ces fluctuations correspond un autre phénomène, nullement naturel : le culte de Lénine a suivi une courbe ascendante, puis subi un déclin marqué après son apogée, à mesure que se développait le culte concurrent de Staline au premier plan, éclipsant celui de Lénine; et soudain la glorification délirante de Staline s'est arrêtée net au lendemain des obsèques du personnage. Les oraisons funèbres sans accent ni conviction prononcées à cette occasion par Béria, Molotov et Malenkov, proches acolytes destinés à tomber en disgrâce à bref délai, n'étaient qu'un dernier écho assourdi des _louanges conventionnelles rendues obligatoires sous la terreur. L'obligation cessa quand cessa la terreur, ainsi .que l'exercice du culte. Le nom de Staline s'effaça comme par enchantement de la presse où il pullulait jusqu'alors. La publication de ses œuvres complètes s'interrompit au treizième volume, où le dernier texte· inséré date de janvier 1934. Ses brochures n'étaient plus réimprimées, personne n'éprouvait plus le besoin de faire semblant de les lire. Son portrait obsédant se raréfiait, à l'avantage de la «direction collective ». La rédaction pénible et encore trompeuse de sa biographie retarda .d'un an et demi la sortie ·du tome 40 de la Grande Encyclopédie Soviétique. Entre temps, Khrouchtchev avait défait la réputation usurpée du «père des peuples », avouant une partie de la vérité sur les horreurs du règne précédent; et il avait dénoncé le ·culte de la

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