QUELQUES LIVRES drogué et suffisant ; la capitulation sous conditions assumée par le gouvernement Dœnitz de Flensburg, dont on arrête les membres après avoir traité avec eux ; la capture au bord du suicide de Frank, bourreau de la Pologne; la découverte de Ley et Streicher sous déguisement à Berchtesgaden; la prise d'Himmler, qui échappe par le cyanure. Le procès deviendra l'occasion d'une fresquereportage, où passent tous les événements allemands et internationaux depuis l'avènement du nazisme jusqu'à son désastre final : incendie du Reichstag le 27 février 1933; « nuit des longs couteaux» (Rœhm) du 30 juin 1934 ; assassinat par les nazis du chancelier d'Autriche Dollfuss, le 25 juillet 1934 ; discours d'Hitler au Reichstag le 7 mars 1936 : « Nous n'avons aucune revendication territoriale à formuler en Europe ... », assertion dont les révélations du « protocole Rossbach» du 5 novembre 1937 et toute la suite des faits montrent le caractère cyniquement mensonger; Anschluss de 1938, avec ses dessous sordides, Schuschnigg terrorisé, Gœring en cheville avec Seyss-Inquart ; Munich, puis la liquidation de la Tchécoslovaquie, mépris foncier de tout engagement, de toute morale; intervention dans la guerre d'Espagne ; pacte germanorusse de 1939, encourageant Hitler à attaquer la Pologne (p. 219), avec l'accord secret annexé sur le partage des sphères d'influence, protocole secret auquel on ne pourra faire au procès que de vagues allusions (cf. l'ouvrage classique en la matière de A. Rossi : Deux ans d'alliance germano-soviétique : le protocole secret à Nuremberg, et texte même avec fac-similé du protocole, pp. 51-53) ; prétextes éventés de l'agression contre la Pologne; agressions contre la Norvège, avec vaisseaux de guerre maquillés, contre le Danemark, contre la Hollande, avec l'inutile et sauvage destruction de Rotterdam ; guerre contre la Russie le 22 juin 1941, préméditée malgré toute la bonne volonté manifestée par le Kremlin en faveur du IIIe Reich, avec les instructions abominables données à l'armée contre les civils russes ; enfin crimes de guerre à proprement parler, crimes contre les populations et contre l'humanité, où la barbarie déchaînée atteint son sommet ... Après cette fresque, où l'horreur chasse l'horreur, que peut signifier au terme du procès la condamnation à mort de douze nazis, dont dix seulement seront exécutés, puisque Martin Bormann, contumax, était déjà mort depuis dixsept mois en octobre 1946 et que Gœring put, par le poison, esquiver l'exécution ? Le « plus grand procès de !'Histoire » mené dans des conditions étrangères à la justice, au nom de nations qui ne furent unies que pour la victoire, ne peut prétendre, malgré les inqualifiables crimes nazis, ni à l'exemplarité ni à la défense de la morale politique. MAURICE PAZ. Biblioteca Gino Bianco 55 Rationalisme et sociologie JOSEPH DE MAISTRE : Des Constitutions politiques et des autres institutions humaines. Édition critique avec une introduction et des notes par Robert Triomphe. Publications de la Faculté des lettres de l'Université de Strasbourg. Paris 1959, Les Belles-Lettres, 112 pp. IL NE s' AGIT pas ici d'un inédit, mais de l' Essai sur le principe générateur des Constitutions poHtiques et des autres institutions humaines, dont M. Triomphe a abrégé le titre « pour la commodité du lecteur moderne». Il a donc espéré qu'il trouverait - sans doute à la faveur des circonstances (l'introduction est datée de juin 1958) - un public non spécialisé qui chercherait, en lisant Joseph de Maistre, à prendre la mesure du péril traditionaliste. C'est vraisemblablement une illusion. Quoi qu'il en soit, l'éditeur s'est diverti, en quelques endroits, à confronter la pensée de Maistre avec le temps présent. Cela n'était sans doute pas nécessaire : il va de soi que l'histoire ne semble pas avoir confirmé ses propositions. Mais est-on sûr qu'elle ait vérifié les vues de ses adversaires ? Lorsque Maistre oppose sa doctrine mystique au rationalisme des révolutionnaires, M. Triomphe paraît penser qu'il s'agit du combat entre le passé et l'avenir. Mais n'y a-t-il pas, à certains égards, des idées d'avenir dans Maistre aussi bien, et peut-être plus, que dans le rationalisme du xv1n° siècle ? En fait, les révolutionnaires euxmêmes ont reculé devant un rationalisme intégral: l'organisation des cultes révolutionnaires le démontre assez. Et depuis, la sociologie nous a appris (a appris à bien peu d'entre nous, il est vrai) que la vie des sociétés ne relève pas du rationalisme abstrait du siècle des lumières. A cet égard l'antirationalisme de Maistre procédait d'une intuition juste : la raison déductive et la connaissance des sociétés sont hétérogènes. Sans doute apparaît-il dès le premier abord que Maistre voulait ruiner l'esprit moderne. Mais le rationalisme du temps a-t-il beaucoup de rapports avec notre esprit moderne à nous ? On peut penser que les raisonnements fondés sur le droit naturel avaient plus d'affinités avec la scolastique qu'avec l'esprit scientifique. A voir les choses ainsi, certain rationalisme apparaîtrait comme la laïcisation de conceptions religieuses, tandis qu'on noterait chez Maistre une préfiguration (tout à fait embryonnaire à la vérité) de l'esprit sociologique. M. Triomphe entrevoit ce dernier point, puisqu'il signale à plusieurs reprises l'« organicisme» de Maistre. Il semble cependant n'y discerner qu'un souci de la continuité, une hostilité aux révolutions. Cela est évidemment dans Maistre (encore qu'il ne soit sans doute pas ennemi des révolutions q_ui rétablissent l'ordre divin ...). Mais l'organicisme n'est pas seulement une néga-
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