QUELQUES LIVRES Le plus grand procès ... J. J. liEYDECKERet J. LEEB : Le Procès de Nuremberg. Paris 1959, Éd. Buchet-Chastel, 340 pp. CE N'EST PAS de l'histoire, mais un reportage rétrospectif, l'un des auteurs, J oe J. Heydecker, ayant suivi -le procès en qualité de journaliste pendant les dix mois de sa durée (20 nov. 1945 - 1er Oci:· 1946). Souvent, pour alléger leur texte, les auteurs, qui nécessairement résument tout en voulant rester aussi exacts que possible, empruntent la forme du dialogue ; mais le choix, en dépit des intentions, nuit parfois à l'objectivité, surtout lorsqu'il s'agit d'accusés de génocide et de bestialité furieuse. Le procès de Nuremberg fut-il vraiment, comme le croient les auteurs (p. 97), le « plus grand procès de !'Histoire » ? Si l'on s'en tient aux moyens mis en œuvre - organisation des débats, traductions simultanées en quatre langues, 16.000 pages de procès-verbaux, 240 dépositions et 300.000 déclarations sous serment, 80.000 photocopies, 27 .ooo mètres de bandes magnétiques, 7.000 disques enregistrés, 14 millions de mots transmis par téléscripteurs, - c'est en effet une grande «machine». Un procès, c'est pourtant autre chose. On ne peut poursuivre en justice un criminel qu'en observant des règles de droit, encore que le droit soit un concept aussi relatif que la vérité. La première règle, en pays civilisé, est que la loi qui réprime précède l'infraction. La seconde, que la loi répressive ait un caractère général, qu'elle s'applique à tous les coupables éventuels. La troisième, que le juge soit un juge, c'est-àdire, au moins en principe, impartial entre la défense et l'accusation. La quatrième, que l'accusé, fO.t-ille rebut de l'humanité et si lourdes que soient les charges, soit présumé innocent, donc admis à faire valoir ses moyens de défense. Aucune de ces règles élémentaires et essentielles - qui condamnent toutes lois et juridictions d'exception - ne se trouvait respectée à Biblioteca Gino Bianco Nuremberg, où il s'agissait de vainqueurs jugeant des vaincus et où des complices des accusés figuraient parmi les juges. Les atrocités hitlériennes, les forfaits des « grand nazis», pour reprendre les termes liminaires du livre, ne justifient pas un faux-semblant comme celui de Nuremberg : après tant d'horreurs et de souffrances, la vengeance ou les représailles pourraient se comprendre, sinon s'admettre; non pas une parade de juridiction ni une parodie de justice. Cette situation n'avait pas échappé aux gouvernements alliés lorsqu'ils avaient institué, après bien des palabres et hésitations, la Cour de justice internationale qui devait par la suite siéger à Nuremberg. A l'origine, en octobre 1942, il y eut à Londres la fondation, par dix-sept gouvernements, de la Commission interalliée des crimes de guerre, chargée de réunir les preuves et témoignages ainsi que de dresser la liste des criminels de guerre appartenant aux puissances de l'Axe (leur nombre sera porté en 194 5 à près de 6 millions). L'étape suivante, c'est la déclaration de Moscou du 1er novembre 1943, signée Roosevelt, Churchill, Staline : 1. Les criminels de guerre dont les crimes ont été commis dans un endroit déterminé seront livrés à l'État intéressé qui les fera juger d'après sa législation. 2. Ceux dont les crimes ne sauraient être situés géographiquement parce qu'ils concernent plusieurs pays seront punis selon une décision commune des Alliés (p. 77). Jusqu'ici rien d'anormal : tout manquement grave au droit des gens, devenu· crime de droit commun, crime de guerre, est puni selon la législation du pays intéressé - à la condition, bien entendu, que chacun des pays intéressés soit un pays civilisé où les droits de la personne humaine soient reconnus. Le paragraphe 2 apparaît seulement inopportun, tout crime pouvant être situé géographiquement, et des crimes successifs intéressant plusieurs États pouvant se juger éventuellement selon l'ordre chronologique. En fait d'État civilisé, le toast de Staline, au cours d'un dîner de la conférence de Téhéran (nov. 1943), ne pouvait laisser de doute à personne.
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