50 à côté de la traduction dans Preuves (Paris, n ° 57 de novembre 1955) mérite d'être ici reproduite : Cher Monsieur Eastman, 15 juillet 1927 Léningrad J'ai lu votre livre avec intérêt et me rallie entièrement à votre critique du fondement philosophique du marxisme. Mais je ne puis tout simplement pas admettre une science de la révolution. Il n'y en a pas et il n'y en aura pas de longtemps, de même qu'il n'existe pas de politique, d'histoire, de sociologie scientifiques, etc. Il y a seulement des tâtonnements de la force vitale, dirigés en partie seulement et avec empirisme par qui est doué d'un fort bon sens de grande envergure. Je considère notre révolution bolchévique, avec ses détails horribles pour notre développement intellectuel et moral actuel, comme un anachronisme qui (j'en suis convaincu) ne se répétera jamais et nulle part sous cette forme dans le monde civilisé. Tel est le fond de ma pensée en ces matières. Avec ma sincère estime, lv. Pavlov. Il y a là une profession de foi qui ne laisse rien à désirer. Mais même quand il ne fait pas directement allusion au bolchévisme, Pavlov ne saurait être compris dans le sens matérialiste vulgaire prescrit par les manuels soviétiques, ni à l'appui des pratiques intolérantes et absolutistes en vigueur sous Staline et ses successeurs. Dans son recueil d'articles, de rapports, de cours et de conférences sur le thème des Réflexes conditionnels, il se trouve un rapport présenté en mai 1917 à la Société de biologie à Pétersbourg, traitant du c< réflexe de liberté)), et dont il semble que le souvenir se perde. C'est précisément une raison pour le rappeler sou) la présente rubrique. L'importance intrinsèque du texte de Pavlov et sa relation aux problèmes les plus actuels ne peuvent échapper. Le célèbre biologiste, sa vie durant, a mis une sorte de coquetterie à limiter le champ d'investigations expérimentaf' de ses travaux de psycho-réflexologie objective au réflexe salivaire du chien. C'est l'école rivale de Bechterew qui a entrepris d'étendre des expériences du même type à d'autres catégories de réflexes et à d'autres espèces animales, même à l'homme, en dépit des grandes difficultés rencontrées dans ce dernier cas*. Cependant, Pavlov n'a jamais douté de l'intérêt théorique que ses expériences pouvaient présenter en vue de l'éclaircissement des problèmes fondamentaux de la psychologie générale et humaine, éventuellement de la psycho-sociologie, comme le prouve son rapport sur le « réflexe de liberté», écrit en collaboration avec le Dr M. M. Goubergritz. Par la suite, des généralisations théoriques souvent aventureuses ont été avancées. Le titre de l'ouvrage de Serge Tchakhotine publié en 1939 : Le Viol des foules par la propagande politique, est encore dans bien des mémoires. L'auteur, d'origine russe, membre de la social-démocratie allemande, exilé en France depuis l'accession d'Hitler au pouvoir, se prévalait de sa qualité de disciple de Pavlov pour expliquer les causes psychologiques de la défaite ouvrière et démocratique et pour adresser des recommandations à ses camarades des autres pays. Elles se résument d'un mot : retourner scientifiquement contre l'adversaire ses propres armes psychologiques en appliquant consciemment les techniques pavloviennes. S'il faut en croire la grande presse, •Bechterew: La Psychologie objective, trad. fr. L. Kostyleff, Paris 1913. Cf. aussi Dumas : Nouveau traité de Psychologie, t. II, p. 37 (en collaboration avec H. Piéron). BibliotecaGino Bianco PAGES OUBLIÉES une conception semblable, assez bizarrement placée sous le patronage idéologique de Mao Tsé-toung, aurait inspiré plus récemment les initiatives de certains techniciens militaires français préoccupés par les problèmes de la « guerre subversive». Il s'agissait, paraîtil, de « mettre en condition » toute une population, dans des circonstances à vrai dire douteuses quant à l'isolement expérimental. La conception; symétrique de celles de Tchakhotine malgré la divergence des mobiles politiques, consiste toujours à retourner contre l'adversaire ses armes présumées, mais en les utilisant scientifiquement, gage supposé d'une efficacité plus grande. Remontant aux travaux du maître lui-même, il y a lieu de se demander si toutes ces considérations pseudoscientifiques ne procéderaient pas d'une vaste illusion, elle-même fruit de l'incompréhension. Il y a naturellement dans le projet en soi, de quelque côté politique qu'on veuille l'envisager, quelque chose de délibérément cynique. On serait donc tenté de rétorquer aux tenants de pareilles doctrines : « Nous sommes des hommes et non des chiens», selon la vieille chanson. Mais l'objection aurait un caractère moral et les enthousiastes ne manqueraient pas de répliquer que la science et la technique « sereines» ne peuvent se laisser arrêter ·par des tabous aussi archaïques que celui qui oppose l'homme à l'animal. Ce serait encore peine perdue de tâcher de leur faire entendre que selon l'école de Bechterew, le principal obstacle à l'établissement expérimental des réflexes conditionnels chez l'homme réside dans le jeu de la « pensée intérieure», facteur que l'on ne peut contrôler du dehors, ce qui exige pour le succès des expériences le recours aux types humains les plus arriérés. Une certaine opinion de la nature humaine donne à penser que le facteur perturbateur peut toujours, par certains procédés, être pratiquement éliminé. Compte tenu de ces arguments possibles, il demeure chez les tenants de la généralisation pseudoscientifique une illusion de caractère prélogique : la croyance à la toute-puissance de la propagande ou à l'efficacité sans limites des techniques de dressage pour transformer une nature quelconque. Cette illusion, le texte de Pavlov permet de la combattre. Que nous apprend-t-il? Le réflexe conditionnel se fonde sur le réflexe absolu. Toute son efficacité est donc empruntée. Lorsqu'on croit vaincre un réflexe absolu au moyen ,d'un réflexe conditionnel, c'est en réalité un réflexe absolu (p. ex. la douleur) que l'on combat au moyen d'un autre réflexe de même nature (selon l'exemple, alimentaire). Il y a d'autre part des réflexes absolus éventuellement incoercibles, et parmi ceux-ci le réflexe de liberté, même chez le chien. Dans ces conditions, si la « nature » d'un vivant quelconque est constituée par ses réflexes absolus, il est vain et utopique de prétendre que l'on peut transformer ou vaincre la «nature» en question au moyen des techniques du « conditionnement ». Selon une comparaison valable au moins dans certaines limites, les excitants conditionnés peuvent être comparés à des germes que l'on sème sur un «terrain» biologique. Si le terrain est réfractaire et secrète des anticorps, le germe ne prend pas. En dernière analyse, tout dépend du terrain. Combattant un adversaire qui utilise spontanément telles techniques de conditionnement - avec succès parce qu'il a trouvé un terrain favorable, - il apparaît chimérique d'espérer le vaincre en retournant scientifiquement contre lui ses propres armes, si l'on ne dispose pas d'un terrain également favorable. La «science» n'y fera rien. La date de mai 1917 donne à la publication du rapport de Pavlov et de son collaborateur un relief symbolique assez étonnant. Depuis lors, le monde a connu d'autres
RkJQdWJsaXNoZXIy MTExMDY2NQ==