Pages oubliées LE RÉFLEXE DE LIBERTÉ par Ivan Pavlov IL EST FRÉQUEMMENT QUESTION d'I van Pétrovitch Pavlov, le grand savant russe (russe, et non pas : soviétique), dans la presse de tous les pays, mais à tort et à travers, une propagande communiste sans scrupule ayant réussi à faire passer l'éminent physiologue pour ce qu'il n'était pas. Célèbres et honorés dans le monde intellectuel avant la guerre de 1914, le nom et l'œuvre de Pavlov ont été largement popularisés, sous Staline, à des fins politiques extrêmement basses, au service du régime le plus despotique et oppressif qu'ait connu l'histoire. Le dogme pseudo-marxiste-léniniste formulé dans maints ouvrages qui ont force de loi en URSS interprète et exploite Pavlov au mépris de la vérité la moins contestable. Pour ne citer qu'un seul exemple, le Dictionnaire Encyclopédique (Moscou 1954) dit que « l'enseignement de Pavlov sur l'activité nerveuse supérieure (...) élargit la base du matérialisme dialectique, confirme la véracité des principes fondamentaux de la théorie léniniste du reflet et sert d'arme tranchante contre toute manifestation d'idéalisme ». Or la première édition de la Petite Encyclopédie Soviétique, celle de 1930, constatait encore que Pavlov « n'avait pas surmonté son conservatisme dans les questions sociales ». Il a fallu Staline et le stalinisme pour falsifier l'évidence et tromper l'univers, avec le concours de toute la presse dite « ·bourgeoise » et bien-pensante. En fait, l'auteur des Réflexes conditionnels a toujours été résolument hostile au bolchévisme et l'est resté jusqu'à sa mort, comme le prouve son testament où il s'exprimait pour la dernière fois à l'égard du régime en exigeant des obsèques religieuses (cf. 1. P. Pavlov et les communistes. Déposition d'un témoin, par le professeur M. Miller, dans la Pensée Russe, Paris, 16 février 1956). Lénine, qu'il serait insensé d'identifier avec ses épigones bien que sa responsabilité dans la dégénérescence du « système» soit indéniable, avait fait adopter par le Conseil des commissaires du peuple le 24 janvier 1921 une décision qui accordait à Pavlov, à sa femme et à ses collaborateurs des privilèges extraordinaires, non conformes à la doctrine égalitaire officielle. Voici le texte de cet étrange document qui date d'un hiver d'indicible détresse : Vu les mérites scientifiques absolument exceptionnels de l'acadhnicien 1. Pavlov, qui sont d'une importance immensepaur les travailleurs du monde entier, le Conseil des commissairesdu peuple arrête : 1. Former mr praposition du Soviet de Pétrograd UrN Commissionspécial, munie de pouvoirs tris ét,ndus, Biblioteca Gino Bianco composée du camarade M. Gorki, du camarade Kristi, directeur des Écoles supérieures de Pétrograd, et du camarade Kaploune, membre du collège à la Direction administrative du Soviet de Pétrograd; cette Commission sera chargée de créer dans les plus brefs délais les conditions les plus favorables pour assurer le travail scientifique de l'académicien Pavlov et de ses collaborateurs. 2. Charger les Éditions d'État de faire paraître en édition de luxe dans la meilleure imprimerie de la République les œuvres scientifiques de l'académicien Pavlov, groupant en un recueil ses travaux des vingt dernièr~s années ; conserver à l'académicien Pavlov ses droits d'auteur sur cette œuvre tant en Russie qu'à l'étranger. 3. Recommander à la Commission du ravitaillement des travailleurs de mettre à la disposition de l'académicien Pavlov et de sa femme des rations alimentaires spéciales, équivalant par leur teneur en calories à deux rations pour académicien. 4. Charger le Soviet de Pétrograd d'assurer au professeur Pavlov et à sa femme la jouissance à vie de l' appartement qu'ils occupent et de l'aménager, ainsi que le laboratoire de l'académicien Pavlov, avec le maximum de confort. Malgré un traitement de faveur aussi exceptionnel, Pavlov ne se départit jamais de ses convictions profondes, ne se prêta à aucun simulacre d'adhésion au régime, refusant de donner du «camarade» aux dignitaires communistes et de tolérer une cellule du Parti dans son Institut. D'ailleurs ses privilèges, d'ordre strictement matériel, restaient confinés dans certaines limites et la protection de Lénine, qui subsista posthume, n'impliquait pas l'essentiel, pour un savant, à savoir la liberté de respirer l'air du dehors, de s'informer des travaux accomplis là où la science est libre. Dans l'introduction à ses Réflexes conditionnels ( trad. fr., Paris 1927), Pavlov écrivait ces lignes significatives : « A mon grand regret, je ne sais rien de ce qui a été fait en Amérique, sur la question, depuis cinq ou six ans, n'ayant pu recevoir ici jusqu'à présent les publications scientifiques, et d'autre part l'autorisation d'aller en Amérique, demandée l'année dernière, dans ce seul but ne m'ayant pas été accordée. >1 En 1926 Max Eastm:m, encore communiste à sa façon, fit paraître à Lonères un livre : Marx et Lénine - La science de la Révolution (trad. fr., Paris 1928) qu'il envoya à Pavlov dont il reçut par la poste un comn1entairc fort explicite. Cette lettre publiée en fac-similé
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