A. PATRI terrestres de même échelle), l'astrologue prétendait au surplus calculer les événements humains à l'échelle individuelle ou mondiale (guerres, révolutions). Ce propos ne nous éloigne qu'en apparence du marxisme : celui-ci assume ajourd'hui la même prétention, quoique sur une autre base. La conjoncture économique étant substituée à celle des astres, le marxisme apparaît comme l'héritier de l'astrologie dite mondiale, et en ce sens il n'est pas dépourvu d'affinités avec le fatalisme classique. Les anciens avaient déjà remarqué que l'on peut tirer du fatalisme un « sophisme paresseux », péché dont la social-démocratie fut accusée en son temps. Il est admis que l'homme ne peut modifier le cours des astres, en raison de l'échelle qui est la leur. Mais si les événements humains sont régis par le cours des astres, ils sont humainement aussi peu modifiables. Il est donc loisible, selon le sophisme paresseux, de ne rien faire. Transposons : la social-démocratie marxiste, confiante dans les prédictions du fondateur, dormait d'un juste sommeil; elle attendait la chute inévitable du capitalisme et l'avènement définitif du socialisme de la croissance naturelle des votes politiques et des effectifs syndicaux; elle avait en fait renoncé au dynamisme révolutionnaire toujours professé en doctrine. La constatation du premier « révisionniste », Bernstein, invitant le parti à accorder la pratique avec la doctrine, mettant en doute l'accomplissement des prophéties, allant jusqu'à suggérer le retour à Kant, avait suscité la mauvaise humeur des docteurs qw, tel Kautsky, s'empressèrent de le réfuter sans convier le parti à brûler d'un renouveau d'ardeur. Pour s'en être tenu là, Kautsky a plus tard été traité de cc renégat ». L'autre panneau du diptyque est constitué par le bolchévisme pré et post-révolutionnaire. Tandis que la social-démocratie s'engourdissait dans une sorte de torpeur matérialiste, vraisemblablement de style mécanique, on trouve chez le père du bolchévisme une vigoureuse accentuation du caractère idéaliste orienté par la passion révolutionnaire. Dans Que faire ? Lénine, comme Bernstein mais dans une tout autre intention, est amené à constater que le prolétariat est spontanément plus réformiste que révolutionnaire. C'est pour en déduire qu'il appartient à l'intelligentsia marxiste, constituée en élite dirigeante ou parti, de le stimuler à remplir la tâche révolutionnaire, la mission historique qui lui ont été assignées par le fondateur. On espère d'ailleurs que le dressage auquel le prolétariat a été soumis dans les usines par le patronat capitaliste l'incitera à accepter une direction de type plus élevé : le parti doit être discipliné comme une église ou une armée, hiérarchiquement organisé. La « conscience de classe» passe désormais avant le fait matériel de l'appartenance à la classe et elle est considérée comme l'agent le plus efficace de la transformation sociale; cette consBiblioteca Gino Bianco 31 cience n'est pas seulement intelligence, elle est aussi volonté. Lénine n'hésite pas à stigmatiser l'« économisme», ce qui paraît quelque peu étrange chez un marxiste : la doctrine, c'est le cc politique d'abord» qui permettra plus tard à de ci-devant maurrassiens français de se retrouver là au pays de leurs premières amours idéologiques. Dans le prolongement de la controverse entre menchéviks et bolchéviks sur la structure du parti se situe le débat sur l'opportunité d'entreprendre la révolution socialiste dans un pays où les conditions appropriées, selon Marx, ne sont pas effectivement données. C'est ce qui ramène au problème du déterminisme, puisque la question est de savoir s'il faut attendre ou agir. Le volontarisme idéaliste de Lénine le porte à soutenir que si les conditions ne sont pas données, il appartiendra au parti de les forger en s'emparant du pouvoir, seul levier de commande efficace. A l'origine, il y a tout lieu de croire individuelle cette décision intellectuelle : on sait que Lénine eut du mal à convaincre ses plus proches amis. Cependant elle pèsera lourdement sur le cours ultérieur de l'histoire. A partir de ce moment, on pourra dire qu'à un marxisme d'observatoire se substitue un marxisme de laboratoire, les dimensions du laboratoire, où l'on ne craint pas la vivisection, étant étendues à toutes les Russies artificiellement isolées du monde extérieur - comme il se doit lorsqu'on tente une expérience. La notion même de socialisme change de contenu. On n'hésite pas à soutenir qu'il peut revenir au nouveau régime de mener à bien la tâche historique que le fondateur avait dévolue au capitalisme, mais par d'autres moyens : Jean Bouche d'Or, alias Nicolas Boukharine, parlera d'« accumulation primitive socialiste», au risque de faire se retourner Marx dans sa tombe. Une fois dans la fièvre de l'action, l'idéaliste dogmatique Lénine devient un politicien réaliste : si la première expérience paraît échouer, il n'hésite pas à en tenter une autre, rectifiant l'hypothèse sans abandonner la théorie : ce sera la nep. Il est assez vain de décider comment Lénine, s'il avait vécu, aurait arbitré la querelle entre Trotski et Staline sur les rapports du laboratoire avec l'environnen1ent. Des possibilités ouvertes par le léninisme, le stalinisme est celle qui s'est réalisée et il convient de l'apprécier en fonction de ce qui a été fait plutôt que posé en théorie. En revanche, on se demandera si la théorie et la pratique léniniennes ont été en accord. La question fut posée en termes excellents par un écrivain américain qui invitait cependant un peu naïvement les bolchéviks à regarder, en philosophie, du côté de William James et de sa postérité « pragmatiste » plutôt que de Hegel 11. Le marII .Max Eastman : La Scienc, d, la Rivolurion.
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