28 de l'homme, ne saurait être en cet état que métaphorique. Il n'y a chez Marx aucune velléité de réduire les concepts fondamentaux des sciences humaines telles qu'il les entendait à ceux des sciences de la nature. On peut cependant montrer qu'il a tenté d'établir à l'usage des sciences humaines un schéma qui serait la transposition analogique de celui du déterminisme dans, !es sciences de la nature : ce qu'on appelle« materialis~e historique » est le produit de cette entreprise. Admettant que la variation du système économique (niveau de développement des forces de la production) commande la variation du système social tout entier, Marx se proposait de prévoir «scientifiquement » l'avènement du socialisme. L'infortuné Boukharine, déjà suspect de « matérialisme mécaniste», avait suggéré la justification suivante, que nous ne croyons pas absolument étrangère à l'esprit dans lequel Marx conçut sa grande hypothèse : le système économique exprimant le rapport de l'homme à la nature, c'est la variation de ce rapport qui doit commander la variation du système social tout entier. En ce sens, le matérialisme historique se trouve analogiquement réduit à une proposition de mécanique : la variation d'un système est commandée par la variation de son rapport avec l'environnement. D'autre part, dans sa première version et avant les atténuations d'Engels, le matérialisme historique avait l'aspect d'une sorte d'« épiphénoménisme». On entend par «épiphénomène» le phénomène secondaire mis en marche par le phénomène principal mais qui ne modifie pas ce dernier (ex. : le bruit du moteur actionnant une machine, l'ombre projetée sur un mur). Dans la version initiale, le phénomène principal est constitué par la variation de l'infrastructure économique et le phénomène secondaire par les divers aspects de la superstructure idéologique (politique, morale, philosophique, etc.). Dans la vision mécaniste de l'univers entier, la présence de la «conscience» humaine paraît apporter certain trouble : c'était l'exception reconnue comme irréductible par Descartes. Avec l'épiphénoménisme (ne nous inquiétons pas du mot, qui n'a jamais été employé par Marx, mais de la chose), appliqué non seulement à la conscience individuelle mais aussi à la conscience sociale, l'exception semble disparaître, de sorte que le matérialisme purgé de tout résidu spiritualiste régnerait sans partage. Que signifie alors la présence, dans cette vision intégralement matérialiste de l'homme et de la nature, de l'élément «dialectique» provenant de l'idéalisme hégélien et dont on aurait mauvaise grâce à contester la survivance chaque fois qu'il est question de marxisme ? On sait que les inquisiteurs de la foi nouvelle ont coutume de frapper aussi bien à gauche qu'à droite, les hérétiques «mécanistes» comme les «idéalistes». La dialectique au sens propre et originel est simplement Biblioteea Gino Bianco DÉBATS ET RECHERCHES l'art de discuter, mais ce n'est point ainsi qu'ils l'entendent puisque c'est pour eux << le mo'-!-vement de la réalité », non réductible toutef ~!s, à. la logomachie conceptuelle comme chez 1idéaliste Hegel. Entre le Charybde «mécaniste » et le Scylla « idéaliste », il paraît bien difficile. de piloter une barque orthodoxement marxiste. Pour éclairer notre lanterne, mieux vaut, selon nous, recourir au manuscrit d'Engels non publié de son vivant : La Diale, tique de la nature. On y voit le collaborateur de Marx lutt 7r d~sespérément pou! laver Hegel de la ~auvaise reputation que lui a value dans l'esprit des homme~ de science une Philosophie de la nature aussi extravagante qu'aggressive., Mais _on a auss! la surprise de constater qu à . J?lusiem:s reprises, invoquant les Pè~es de la visi<;>n«dialect~que~, Engels cite à la fois Hegel et Aristote7 • Un mqwsiteur pourrait y perdre simultanément l'usage des langues grecque et &ermaniq1:1:ep_asseenco~e pour Platon, s'il s'agit de dialectique, mais Aristote ? Aristote, n'est-ce pas le créateur de la stérile « logique » que la modern~ dialectique (hégélienne), convenablement remise S?I ~es pieds, est appelée à remplacer comme directive de la pensée ? On peut éclaircir le mystère en lisant attentivement le texte d'Engels : l'auteur ne pense pas à Aristot~ logicien mais à Aristote physicien. Le disciple infidèle de Platon n'est pas seulement le père de la logique que la scolastique médiévale a placé sur le piédestal que l'on sait, mais aussi celui qui a systématisé la vision qualitative de la nature régnant avant le grand mouvement scientifique, à la fois mathématique et expérimental, qui s'est nettement dessiné à partir de la Renaissance. Cette vision qualitative, ni mathématique ni expérimentale mais conforme aux premières apparences, est dominée par le jeu des contraires : alternance du chaud et du froid, de l'humide et du sec, du lourd et du léger, qui passent les uns dans les autres. Si la dialectique entendue de façon matérialiste est un tel jeu de contraires, considéré non seulement dans le cours de la pensée mais dans celui de la nature, on conçoit que le rapprochement suggéré par Engels ·ait un sens : la philosophie hégélienne de la nature peut autoriser un retour à la vision qualitative d'Aristote. Il y a plus : après la transposition logomachique de Hegel (idéalisme au sens de Marx), on a le sentiment de se retremper à la source primitive lorsqu'on revient aux Grecs. C'est ce retour à la source qualitative que préconise bravement Engels en condamnant le «mécanisme » dans les termes les plus 'purement aristotéliciens : l'erreur du mécanisme a consisté à prétendre réduire toutes les variétés de changements qui s'opèrent dans la nature au changement de lieu en fonction du 7. Dialectique de la nature, Éd. sociales. Cf. index.
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