Le Contrat Social - anno IV - n. 1 - gennaio 1960

24 des charges publiques, ensuite des terres administrées), les grands travaux étaient-ils plus ou moins abandonnés et les terres se couvraient-elles de sables ou de marais. Dans tous les cas, le « développement des forces productives » était conditionné par la constitution d'États centralisés et d'appareils bureaucratiques vigoureusement tenus en main par des chefs incontestés. Or Marx a une singulière manière de nepas se poser de questions devant le complexe institutionnel né de la mainmise par l'État sur les leviers de commande de l'économie agricole. Des considérations de cet ordre l'eussent en effet amené à réviser non seulement sa théorie sociologique générale mais aussi le postulat fondamental de sa théorie économique, qui ne veut connaître et reconnaître que le seul travail simple : celui qui se matérialise dans le corps-àcorps de l'homme avec la matière et ignore tout ce qui est travail sur le travail, c'est-à-dire les tâches d'organisation proprement dites. Théorie de l'économie bureaucratique '.cf RÉDUIT à sa plus simple expression sous l'action conjuguée des conditions techniques qui prévalaient à l'époque de Marx et des « automatismes» réels ou prétendus de l'économie capitaliste, réaffirmé aujourd'hui avec infiniment plus d'éclat qu'auparavant, le travail complexe d'organisation, de coordination, de détermination des priorités et d'orientation des choix s'imposait bien davantage encore à la phase éotechnique de la civilisation. Le renforcement du pouvoir central et le perfectionnement de son appareil administratif étaient ici une condition essentielle du progrès économique. En effet, pour construire sur des étendues immenses des digues, des écluses et des canaux, pour organiser les efforts collectifs destinés à apprivoiser les forces naturelles, il fallait tout d'abord constituer un corps spécialisé d'ingénieurs et de fonctionnaires, ou plutôt de gestionnaires de la force de travail : contrôleurs des travaux agricoles et organisateurs des corvées. A ce niveau, la centralisation apparaît comme l'effet inéluctable à la fois de la pénurie des cadres et de la nécessité d'établir un plan de travail portant sur de vastes espaces et mettant en branle des foules immenses, parfois plusieurs générations de travailleurs. Tout cela suppose l'État comme auteur exclusif des « macro-décisions » - ce qui paraît inintelligible si l'on adhère à la conception manchestérienne de l'État qui fut celle de Marx. Aussi _négligea-t-il de mentionner une autre fonction décisive de la bureaucratie, celle qui consiste à réaliser pour le compte de l'État l'accumulation primitive du capital. Dans les conditions d'une économie agraire primitive, pour que la maind'œuvre pût être utilisée à la construction et à l'entretien des travaux hydrauliques, il fallait constituer un cc fonds de salaires en nature » ou, Biblioteca Gino Bianco LE CONTRAT SOCIAL plus modestement, une réserve de vivres destinée à assurer le ravitaillement de la foule des travailleurs «libérés » du travail primaire 47 • Seul le «principal détenteur du surproduit», l'État despotique avec son immense mécanisme d'exploitation, était à même de remplir cette exigence. Cela, Richard Jones l'avait déjà remarqué : parmi les facteurs principaux qui rendirent possibles les grands travaux «de prestige et d'utilité » dans les États asiatiques, il avait mentionné notamment l'existence d'un «excédent de moyens de subsistance » concentré dans les mains d'une infime minorité de fonctionnaires et de prêtres, bref la «concentration des revenus aux mains de l'État ». Marx cite ces remarques de Jones 48 sans insister. Parlant de l'Égypte pharaonique, il se contente de renvoyer le lecteur à Diodore de Sicile, qui expliquait ce surproduit par la frugalité du peuple et la fécondité du sol égyptien 49 • On s'étonne de voir Marx réhabiliter les conceptions «idylliques» de l'économie politique bourgeoise et mettre au compte de la «frugalité» ce qui fut l'œuvre exclusivede la contrainte. Pendant la collectivisation forcée, ses disciples n'ont fait que ressusciter les procédés d'accumulation primitive qui avaient fait leur preuve six mille ans auparavant sur les bords du Nil. Sous la ive dynastie l'État prélevait les trois quarts des récoltes, sans offrir aux paysans une contreP.artiesuffisante en produits manufacturés. AuraitIl pu procéder de la sorte sans avoir recours à l'étatisation intégrale de l'agriculture ? Marx, il est vrai, montr,e un certain émerveillement devant l' «effet colossal de la coopération simple» (c'est-à-dire dépourvue d'armature technique développée) organisée par les États bureaucratiques 60 • Richard Jones avait déjà insisté sur le rôle fondamental qu'a joué le «capital le plus précieux » dans la construction économique des sociétés orientales : avec la «concentration des revenus aux mains de l'État », l'existence d'une main-d'œuvre «surabondante» et «la toute-- puissance de la direction sur la foule des travailleurs » avaient constitué à ses yeux 51 les facteurs décisifs du succès. Or Marx mentionne l'activité organisatrice de la bureaucratie uniquement pour montrer comment le pouvoit qui fut jadis celui des despotes orientaux et des -« théocrates étrusques» - celui de mettre en mouvement le travail des masses - «échoit'» aujourd'hui à l'exploiteur capitaliste. De la « coopération simple » qui a permis à la bureaucratie égyptienne, sumérienne ou chinoise de dompter les fleuves et de rendre la terre habitable, Marx a eu la même morne vision que Proudhon , 47. Cf. les remarques du prof. Childe in Man makes himself. 48. K, 1, pp. 349-350. 49. K, I, p. 538. 50. K, 1, p. 349. ~ 51. K, I, p. 350.

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