K. PAPAIOANNOU C'est ce que suggère Marx dans un passage l du Capital où ..Ail est question_ du capitalisme naissant : Les travaux qui exigent une longue période d'activité et, par conséquent, ?es inv~stissements à long terme et qui ne peuvent etre réalisés que par étapes, ne so~t pas organisés d:une maniè~e. caJ?italist~ mais s'effectuent soit aux frais des municipalités s01t aux frais de l'État, et en ce qui concerne les époques plus archaïques, principalement au moyen du travail forcé39 • Marx cite à titre d'exemple les routes et les canaux : aggravée par l'urgence des bes!)ins sociaux, la faiblesse du développement technique faisait de leur réalisation une entreprise d'une telle importance qu'e~e. ne pouyait pas être ~a tâche de quelques individus, mais de la collect~- vité « organisée et concentrée dans le pouvoir d'État » 40 • On comprend dès lors pourquoi « les Hindous, comme tous les peuples orientaux, ont laissé au gouvernement central le soin de s'occuper des grands travaux publics, base de leur agriculture et de leur commerce » 41 • Quand les moyens techniques sont insuffisants, on a besoin d'un.e communauté de travail qui dépasse le petit cadre privé ; aussi le progrès .tec~que .s'e~t-il d'abord manifesté par la formation d exploitations individuelles du sol. Mais le progrès techniqll:e est une création historique qu'on ne ~au~a1t mesurer à l'aide de critères purement quantitatifs, tels que le quantum d'« énergie disponible par tête de travailleur » ou le nombre d' «esclaves mécaniques » _:, ,l'équipem~nt technique, don~ dispose la societe au travail sera. mesur~ aussi · par rapport à l'étendue des_besoins so_cia~, à l'intensité du « défi » physique ou historique auquel elle doit faire face. Sous ce rapport, l' « immaturité de l'homme ·individuel » dans les sociétés orientales apparaît sous un double aspect : dépourvus de l'outillage technique qui leur permettrait de combattre individuellement le déchaînement des forces naturelles les hommes devaient également affronter une si~tion dépassant largement les possibilités d'adaptation des petites communautés, auxquell_es ils appartenaient. En Égypte, en MesoJ?otamle, dans la région du Hoang-Ho, au Mexique ou dans les Andes, seule la coopération à une échelle plus vaste pouvait_consti~er une. riposte efficace à la rigueur excessivedu defi physiqu~. Or quelles étaient les conditions de la coopération pendant cette phase primitive que Marx désigne par le « mode de production asiatique » ? L~ coopération reposait « d'une part, sur la pr~priété collective des conditions de la production, d'autre part sur le fait que l'individu n'avait pas encore coupé le cordon ombilical qui le reliait à la tribu ou à la commune villageoise » 42 • 39. K, II, p. 230. 40. Cf. cette d~tion de l'~tat dans K, I, p. 791. 41. FR in loc. cit. .p. K, 1, p. 350. Biblioteca Gino Bianco 23 C'est tout d'abord la nécessité d'une communauté unifiée et disciplinée qui provoque l'inte~- vention de l'État despotiqu_e: inc~pables d~ s' urur librement, les monades villageo1~esdevaient s_e soumettre au pouvoir fort qui rassemblerait leurs efforts producteurs. Seule la contrain~e pouvait briser l'isolement des communautes rurales fermées. C'est pourquoi, remarque Marx, « l'application sporadique de la coopération à une grande échelle~>,telle que no':1s!'observons aux époques antérieures au ~pitalisme m~de1:1e, présuppose «des rapports directs de ~om1nat1on et de subordination, et en premier lieu l'e~clavage » 43 • S'ils avaient disposé de machines, d'ingénieurs et d'ouvriers qualifiés, les pharaons les eussent sans doute préférés aux foules de paysans soumis à la corvée et aux esclaves qu'ils utilisèrent pour construire les canaux du Fayoum ou pour exploiter les mines du Sinaï. Mais dans les conditions existantes, des travaux d'une telle envergure n'auraient aucune chance d'être. exécutés si l'État ne disposait d'un appareil de coercition et d'encadrement pouvant compenser le manque de machines par l'exploitation intense des masses. Il s'établit ainsi une relation dialectique entre la lutte de l'homme avec la nature et la formation d'États unitaires intégrant dans une communauté supérieure la multitude des cellules sociales primitives. Marx remarque à ce propos que « la régulation de l'allure des eaux a été une des bases matérielles du pouvoir de l'État » su! les communes villageoises hindou~s 44 : la «petitesse » d~ . ces organismes économiques et le «manque de liaison entre eux » ( zusammenha,ngslosekle-ine Produktionsorganismen) leur interdisaient d'ent;ep_ren~e pour leur propre co"!pte . des travaux d _irrigation qui mettent à contribution des foules immenses de travailleurs et qui exigent un plan d'ensemble minutieusement élaboré. Marx aurait pu également citer la Chine dans sa lutte avec le fleuve Jaune, le monde mésopotamien et la structure bureaucratique perfectionnée qui s'est développée dans la vallée du Nil. Dans les sociétés caractérisées par un faible développement technique et l'« immatui:ité » de l'individu, il existe donc un rapport réciproque, sinon causal, entre la « nécessité de contrôler collectivement les forces naturelles » 45 et la formation d'États centralisés et organisés sur une base techno-bureaucratique 46 • Aussi, dès que ces États bureaucratiques se disloquaient (sous l'influence des prêtres ou des hauts fonctionnaires, eux-mêmes transformés en une classe de propriétaires héréditaires, détenteurs d'abord 43. Ibid. 44. K, I, p. 539, n. 6. 45. K, 1, p. 539. 46. Par contre l'aménagement de la région du Mis.sissipi peut !tre considéré comme. l'_exei_nple_type d'une DllSC en valeur accomplie par des lllltiaf;'ves 1sol~es .n:iues .par le seul intu!t privé : c'est surtout 1 extrême_mdiv1dua~on des colons amuicains qui explique cette évoluuon cxcepuonnclle .
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