Le Contrat Social - anno IV - n. 1 - gennaio 1960

22 vention directe de ce pouvoir et ringérencc de ses organes directs 81 • Ainsi donc le nivéllement, l' «horizontalisme » de la propriété parcellaire provoque «de toutes parts » l'intervention verticale de la bureaucratie : en plein xixe siècle, l'inertie économique et l'anarchie paysanne auraient engendré en contrepartie les méthodes bureaucratiques d'organisation, de subordination et de commandement autrefois appliquées par les autocrates orientaux. C'est par ces artifices que Marx a voulu rendre intelligible l' « indépendance » de l'État sous le Second Empire. De même, Lénine considérait la bureaucratie soviétique comme une « superstructure basée sur l'éparpillement des petits producteurs » ruraux 32 • On conçoit aisément la toute-puissance de l'État centralisé face aux producteurs isolés : les paysans parcellaires ou les «communes communistes russes et hindoues » dont parle Engels 33 étaient une proie trop facile pour échapper à la convoitise des agents du fisc, des sergents recruteurs et de l'intendance militaire. On voit aussi comment une administration tentaculaire s'est superposée à l'économie naturelle pour lui sucer la moelle. A la limite, on pourrait même considérer la centralisation autoritaire et la contrainte bureaucratique comme le moyen d'« intégration » et de «rassemblement des terres » le mieux approprié à l'amorphisme et au morcellement propres à la société paysanne. Mais Marx veut nous conduire beaucoup plus loin. Il suggère _que les paysans secrètent spontanément l'appareil ~ui les exploitera et les brutalisera. Si en 1851 1appareil bureaucratique est devenu «complètement indépendant» 34 , la faute incombe aux paysans. La raison en est que cette masse barbare postulait un idéal idolâtre et approprié à sa structure : la société tout entière enrégimentée sous un État bureaucratique. Aussi «l'influence politique » des paysans trouve-t-elle «son ultime expression dans la subordination de la société au pouvoir exécutif» 3f>. Dès qu'elle cesse d'être le souffre-douleur passif et muet de !'Histoire, cette masse amorphe de paysans attachée à la glèbe n'aspire donc qu'à offrir la couronne au pouvoir fort qui fera de tous les citoyens les serfs de l'État. «Les recenseurs se répandent partout : on mesure les champs motte par motte, on compte les pieds de vigne, les arbres ; on couche par écrit les animaux de toute espèce, on note les hommes par tête » : ce cri de Lactance 86 serait-il le cri du cœur du 31. Br, p. 95. 32. Lénine : Sur l'impnt en nature in Œuvres choisies, Moscou 1946, II, p. 874. 33. K, III, p. 774• 34. Br, p. 90. 35. Br, p. 92. 36. De mortibus pers~cuçorum. Biblioteca Gino Bianco / LE CONTRAT SOCIAL paysan ? La conscience de classe du paysannat serait-elle le masochisme ? La France de Méline a fait une expérience tout à fait différente de l'influence politique des paysans parcellaires : son « ultime expression » fut le protectionnisme agricole et non le règne de la bureaucratie qui hantait les cauchemars de Marx. Il aura fallu attendre la révolution chinoise avec ses cohortes de ·soldats-laboureurs et son socialisme de cuisines roulantes pour que la psychanalyse du paysan proposée par Marx prenne quelque consistance. Quoi qu'il en soit, cette construction tourmentée laisse complètement inexpliqué le processus qui amena l'État despotique à incorporer les communes rurales ou les paysans parcellaires dans son système de domination. Si la bureaucratisation du pouvoir est une conséquence directe de l'édification d'un grand État sur la base d'une économie agraire primitive, il reste à déterminer les forces sociales qui avaient chaque fois intérêt ~ à stimuler ce mouvement de concentration étatique. Comme Marx se refuse à faire appel à des facteurs proprement politiques, par exemple la volonté de puissance, il mettra l'accent sur les besoins sociaux qui furent chaque,. fois satisfaits par la constitution d'un pouvoir d'Etat fortement centralisé. Les grands travaux ON PEUT VOIR cette volte-face dans un des rares passages du 18 Brumaire où Marx parle de la bureaucratie avec relativement plus de calme. La bureaucratie, remarque-t-il, vit de l'impôt, et dans ce sens elle reste toujours parasitaire. Mais voici qu'« au moyen des impôts prélevés par l'État », la bureaucratie de Napoléon III « réalisait pour le paysannat, sous forme de travaux publics, ceque la bourgeoisie ne pouvait encore réaliser à l'aide de son industrie privée » 37 • Sa fonction économique, son rôle directement productif, s'expliqueraient donc par le sous-développement de la bourgeoisie et l'insuffisance de l'industrie privée. Mais si à l'époque des «miracles de l'industrie» et du prodigieux développement des forces productives, les «grands travaux » constituaient encore un domaine interdit à l'industrie 'privée, cela doit être beaucoup plus vrai encore de toutes les époques précédentes, quand la société ne disposait que d'un outillage technique · rudimentaire 38 • 37. Br, p. 95. 38. Nous paraphrasons à dessein Engels justifiant la conception économique de la société en ces termes : « Si déjà à l'époque moderne l'État, avec ses formidables moyens de production et de communication, ne constitue pas un domaine ind'épendant, avec un développement indépendant, cela doit être plus vrai encore de toutes les époques précédentes où la production ne disposait pas encore de ces ressources et où, par conséquent, la nécessité de cette production devait exercer une domination plus grande encore sur les hommes» (L. Feuerbach, etc., in Études philosophiques, 1951, p. 53). On ne saurait mieux formuler l'« illusion perspectiviste » sur laquell~ repose la théorie marxiste de l'Etat.

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