M. COLL/NET césure entre les différentes strates de la pyramide administrative. Au voisinage du sommet l'esprit de groupe s'éteint et ne correspond plus qu'à une manière de s'exprimer avec politesse. Des enquêtes de Whyte sur les managers, il ressort que, contrairement à une légende, ils travaillent autant sinon plus que leurs collègues européens. Le manque de temps, l'appétit de puissance et d'action comme!la complexité des tâches les isolent plus qu'on ne le pense au sein de leur classe et limitent goûts et curiosité intellectuelle beaucoup plus qu'il y a cinquante ans ; ce sont des victimes de ce que Whyte nomme une « autotyrannie ». Jaloux de son destin personnel, adepte de l'ancienne morale, le directeur doit, par diplomatie, ruser avec sa propre bureaucratie et renoncer aux apparences du commandement militaire, pour épouser, à son corps défendant, les postulats du group mind. Même si, aux échelons inférieurs, il a bénéficié de cet esprit, il voudrait le répudier quand il arrive au poste suprême, mais il n'ose le faire ouvertement. Cette équivoque rend son travail beaucoup plus épuisant que celui de ses prédécesseurs du début du siècle. Des managers ont confessé à Whyte qu'ils n'étaient vraiment maîtres que de 10 % de leurs travaux. Et leur conformisme obligé reste le purgatoire de leurs ambitions... La promotion des cadres à tels postes de direction ou à telles présidences de sociétés représente une profonde rupture dans les habitudes et les relations. Les statistiques révèlent la fidélité des cadres moyens à leurs entreprises, fidélité d'ailleurs encouragée par les droits d'ancienneté et les retraites ; au contraire, elles démontrent l'importance du turn-over dans les postes de direction, malgré les avantages matériels évidents ctuidevraient inciter les dirigeants à ne pas démissionner. Bien des raisons peuvent rendre compte de cette mobilité ; au premier rang on trouvera la résistance à l'esprit de groupe et l'ambition de le refouler ou de s'en évader dans toute la mesure du possible. L'individualisme reprend ses droits quand il est le fait des hommes aux capacités indiscutables qui sont nécessaires au développement des grandes sociétés. Pseudo-science et recherche scientifique WHYTE consacre de nombreuses pages à la dénonciation de la malfaisance et de la stupidité des tests dits « de personnalité» qui, dans l'esprit de la bureaucratie, doivent permettre de mesurer le degré d'intégration de l'individu à l'organisation. Plus que les ouvriers les cadres sont les victimes de ces tests, utilisés non seulement lors de l'embauche mais à chaque changement de poste ; tests qui perdent toute signification - si toutefois ils en eurent jamais - lorsque le candidat-cobayc:lconnaît d'avance la nature des réponses à ·roumir pour approcher de l'idéal Biblioteca Gino Bianco 13 conformiste. L'essentiel, c'est de ne jamais donner prise à l'accusation d'introversion. Quels que soient les états de service antérieurs, c'est là le péché capital. Whyte consacre un chapitre à des conseils pratiques· de tricherie efficace devant la curiosité avide de l'examinateur ... La morale de l'organisation tend à s'appliquer à toutes les formes de l'activité scientifique. Le travail en équipe n'est plus seulement une nécessité technique, il devient l'objet d'une véritable idolâtrie. L'esprit de groupe prime l'exercice de la pensée. Dans les laboratoires des grandes entreprises industrielles, il est le critère décisif qui autorise à écarter le chercheur isolé, considéré comme un maniaque ou un fossile. Sauf dans de rares sociétés comme la General Electric ou les Bell La.boratories, la recherche désintéressée y est bannie ; les améliorations techniques y sont le plus souvent des sous-produits de l'activité des universités. Whyte est sans indulgence pour la politique des grandes fondations scientifiques et le gaspillage qu'elle entraîne, particulièrement dans les sciences humaines où les projets de recherche, lorsqu'ils sacrifient aux idées à la mode, ne servent parfois qu'à obtenir des subventions... De l'intégration économique ... AINSI est révélé sous ses divers aspects le caractère enveloppant et dominateur de l' organisation économique sur l'individu destiné à s'y fondre. Certes, la société fonctionnelle a perdu ou tend à perdre les hiérarchies de type militaire héritées du siècle passé, au profit d'une démocratisation des rapports humains. Dans une certaine mesure, les méthodes de suggestion, de persuasion et de discussion remplacent, au moins partiellement, les méthodes de subordination. Le manager n'est plus le patron despotique de jadis. Vis-à-vis des ouvriers, il est lié par les conventions collectives passées avec le syndicat; à l'intérieur même de l'administration, il doit compter avec les groupes de travail et leur solidarilé. L'individu n'y est plus simple poussière soumise à tous les vents, mais une cellule si bien intégrée au corps social qu'elle en a perdu toute personnalité. Il vit par les autres, dans une extraversion permanente, s'adaptant au milieu fonctionnel de l'activité économique comme ses ancêtres s'étaient adaptés au milieu naturel du continent américain. Les travaux des sociologues qui, après Kurt Lewin, ont étudié la « dynamique de groupe », sont devenus des dogmes de la coopération entre individus conçue sous le rapport de l'efficacité. Les ressources de la psychologie sont utilisées jusqu'à la caricature pour dépister celui qui n'est pas dans la «norme» et l'écarter de l'organisation. Il se crée ainsi un puissant conformisme. Accepté avec enthousiasme par la jeune géné-
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